Jean-Marc Vallée est en train de se bâtir une excellente réputation de « réalisateur d’acteurs » à Hollywood. Depuis le sacre de Matthew McConaughey et Jared Leto aux Oscars pour Dallas buyers club, film dans lequel les deux interprètent des écorchés de la vie (en plus d’avoir subi des transformations physiques radicales), les plus grandes stars américaines s’arrachent les services de notre cinéaste québécois chéri. La dernière en lice est nulle autre que Reese Witherspoon que Jean-Marc Vallée malmène et repousse dans ses derniers retranchements psychologiques pour les bienfaits de Wild, drame autobiographique poignant qui a valu à sa vedette principale une nomination à la 87ième cérémonie des Oscars.
Cheryl Strayed (Reese Witherspoon) survit au départ prématuré de sa mère rongée par un cancer (Laura Dern) en enchaînant les comportements autodestructeurs. À la mi- vingtaine, celle qui était destinée à un brillant avenir en littérature se drogue, se saoule, multiplie les aventures d’un soir et sabote son mariage avec Paul (Thomas Sadoski). À la suite d’un divorce houleux, Cheryl décide qu’il est temps de se ressourcer afin de mieux reprendre le contrôle de sa vie. Elle entreprend alors une périlleuse randonnée de 1 600 kilomètres dans le Pacific Crest Trail qui durera plusieurs mois.
Entrecoupé de pertinents retours en arrière, le film illustre la quête existentielle de Cheryl telle que racontée dans l’essai Wild : From lost to found on the Pacific Crest Trail, publié il y a plus de trois ans. En lisant l’oeuvre, Jean-Marc Vallée, lui-même en deuil de sa mère, a tellement été bouleversé et inspiré par le vécu de l’auteure qu’il a ressenti le besoin de le transposer à l’écran. Bien qu’ils disposaient d’un budget restreint et de quelques jours de tournage seulement pour mener à terme ce projet entassé dans un agenda déjà bien garni, Vallée et son équipe ont relevé le défi haut la main. Avec Wild, Jean-Marc Vallée impose de nouveau sa signature qui lui confère tant d’éloges, c’est-à-dire relater crument et sobrement des intrigues captivantes enrobées dans un montage frénétique et brutal exécuté avec une caméra fébrile ne donnant aucun répit aux spectateurs qui ne peuvent qu’être hypnotisés par les plans percutants présentés devant eux. La trame sonore à la fois lumineuse et ténébreuse contribue également à ce prenant sentiment d’évasion.
Dans la lentille de Vallée, des objets ordinaires comme une botte virevoltant au vent deviennent les vedettes d’images extrêmement fortes et magnifiques impossibles de chasser de nos esprits. Confortablement assis sur notre sofa ou sur un siège de cinéma, l’humidité étouffante et la chaleur encombrante de l’Oregon, là où le film a principalement été tourné, envahissent nos pores. On sue avec Cheryl, on absorbe ses larmes et on se réjouit de ses petites victoires éphémères. Aussi inimaginable que cela puisse paraître, on ressent même l’envie d’enfiler bottes de marche et lourd sac à dos afin de l’épauler dans son éreintant voyage.
C’est exactement là que le scénario de Nick Hornby (An education) atteint sa cible. Qui n’a jamais voulu faire comme Cheryl Strayed? Qui n’a jamais ressenti l’urgence d’apporter des changements majeurs de sa vie? Qui n’a jamais voulu s’exiler pour combattre ses démons intérieurs? Cheryl a tout abandonné pour le faire. Quel courage admirable! Quelle détermination! Qui ose l’imiter? Oui, on a envie, mais il y a la famille, les enfants, le ménage, le travail, l’être aimé…Choses que Cheryl Strayed ne possédait plus réellement. C’était elle-même qu’elle abandonnait. Il lui fallait cette route pour survivre, pour ne plus dépérir. À défaut de ne pas la suivre sur la Pacific Crest Trail, on pleure et rage nos propres tourments à travers les 115 minutes résumant son périple. Sa quête nous pousse à modifier notre mode de vie. D’accord, on n’ira pas tous s’acheter une tente et une gourde valant une centaine de dollars mais, après le visionnement du film, on risque de plus être à l’écoute de nos besoins, fatigues et limites. Au-delà des questionnements existentiels que soulève le scénario de Wild, ce dernier parvient aussi à ficeler efficacement une trame narrative intrigante. À travers la longue et périlleuse promenade de Cheryl, on découvre avec bonheur l’imperfection d’une famille attachante, la bonté de sympathiques amis de passage et l’exaspération d’un attendrissant ancien amant.
Ce n’est plus un secret pour aucun cinéphile, Jean-Marc Vallée est passé maitre dans la direction d’acteurs. Nul ne connait son ingrédient magique mais probablement que sa passion débordante pour le cinéma et son dévouement sans fond pour donner vie authentiquement à une bonne histoire lui permettent de puiser profondément dans l’âme et le talent d’acteurs qui ne demandent qu’à s’éclater et se vouer à un personnage riche et complexe. En ce sens, Laura Dern et Reese Witherspoon n’ont certainement pas volé leur nomination aux Oscars. Alors que Cheryl embrasse son mal de vivre pour mieux l’apprivoiser et le positiver, Bobbi dissimule son angoisse de mourir sous de faux sourires, son rôle de mère prédominant sur ses propres peurs. Pour s’éloigner du glamour et des paillettes que lui ont administrés ses rôles iconiques dans des comédies pour filles, Reese n’hésite pas à troquer sa trousse de maquillage pour un pack sac imposant. L’actrice oscarisée se soumet à des conditions physiques et météorologiques exigeantes tout en prouvant qu’elle est en mesure de nuancer les émotions troubles d’un personnage en crise identitaire. Laura Dern glace et bouille le sang avec ses moues ravageuses et son intensité foudroyante.
Au final, Wild propose une recherche de soi songée sous fond de walk trip (!) interprétée et imagée avec un rafraichissant brio
Ce film est disponible en DVD et Blu-Ray depuis le 31 mars 2015.
Crédits Photos : Fox Searchlight Pictures
https://www.youtube.com/watch?v=tn2-GSqPyl0
