Sans posséder la même notoriété, la filmographie du réalisateur Noah Baumbach, 45 ans, rappelle à plusieurs niveaux celle de Woody Allen, 79 ans. Les deux partagent un amour infini pour la ville de New-York, scénarisent la totalité de leurs projets, tournent au moins un long métrage tous les deux ans et affectionnent des thématiques similaires (la peur de vieillir, les échecs amoureux, pour ne nommer que celles-là) qui se transposent dans le quotidien de personnages aux âges et modes de vie variés. Appuyés par des argumentaires diversifiés et tout aussi valables, les cinéphiles ne s’entendent pas véritablement sur les éléments qui déterminent si une offrande de Baumbach ou d’Allen est considérée satisfaisante ou médiocre. Par exemple, les échos favorables à l’égard de Frances Ha! de Baumbach, sorti en 2012, ne m’ont pas empêché de détester ce film. En revanche, son dernier effort, While we’re young, malgré des critiques plutôt mitigées, a réussi à me charmer. À mon humble avis, il s’agirait même de son meilleur cru jusqu’à ce jour.
Les protagonistes que Noah Baumbach dépeint dans While we’re young, qui sort en DVD ce mardi, se conforment presque aveuglément aux valeurs, intérêts et réalités prodigués par la société contemporaine. Josh et Cornelia (Ben Stiller et Naomi Watts), lui professeur et documentariste de style vieille école aimant œuvrer en solitaire et elle productrice de documentaires, forment un couple aux bases solides depuis des décennies. Après plusieurs tentatives et chances ratées, ils ont décidé de ne pas fonder une famille. Ce choix complique leur amitié avec Marina et Fletcher (Maria Dizzia et Adam Horovitz (Oui, oui, LE Adam Horovitz du groupe musical Beastie Boys)), nouveaux parents qui n’ont de yeux que pour leur progéniture. Josh et Cordelia, tous deux dans la quarantaine avancée, s’éloignent peu à peu de leurs amis, n’ayant plus l’impression d’appartenir dans le même monde. C’est alors que Josh fait connaissance plus profondément avec son étudiant Jamie (Adam Driver) ainsi que sa femme Darby (Amanda Seyfried). Jamie et Darby incarnent parfaitement la fraicheur et la liberté associées aux twenty something. Les couples deviennent rapidement inséparables, l’un inspirant de la jeunesse insouciante de l’autre et vice versa.
À travers l’admiration que voue Jamie au travail méticuleux de Josh, on sent que la jeunesse aime tirer profit de l’expérience des plus vieux. En se sentant aussi apprécié, Josh réalise que son existence devenait trop morose et que, malgré ce qu’il aime prétendre, il exerce son métier dans l’unique but de plaire et se sentir adulé. Il veut retrouver le Josh d’antan. Le port d’un chapeau fedora trop petit pour lui (parce que Jamie en possède un semblable) s’avère être un symbole marquant pour Josh. Cornelia et Darby, qui ont simplement envie de se sentir aimées et désirables aux yeux de leurs époux respectifs, les suivent sans broncher dans les lubies qu’entraine leur amitié naissante. Les personnages dépassent leurs archétypes et unidimensionnalités. Au-delà de l’étalage de connaissances culturelles vintage, de l’attitude hipster et des purifications spirituelles de l’âme pour évincer les expériences traumatisantes et fantasmes futiles, ils parviennent à déconcerter.
While we’re young ne se confine pas à un genre bien précis. Bien qu’il dissimule subtilement un sens de l’humour vorace et effleure des sujets délicats, le film de Baumbach se veut plutôt un constat hautement réaliste et moderne sur les relations tumultueuses entre les générations, particulièrement X et Z. On ne croule pas de rire, on ne pleure pas à chaudes larmes. On se reconnait et on s’interroge. Lors de la première heure, Noah Baumbach présente une fiction captivante pour le public. Malheureusement, lors de la dernière demi-heure, le réalisateur impose son pessimisme plutôt que de nuancer ses propos. Cette décision légèrement contradictoire risque de frustrer plusieurs spectateurs, d’autant plus que Frances Ha! prônait une morale diamétralement opposée! À l’instar des personnages qu’il a créé, Baumbach ne sait pas où se placer entre sa volonté de séduire un très vaste auditoire et rester authentique à ses convictions artistiques. Est-ce While we’re young exprime réellement son point de vue ou se contente de relater une histoire bien ficelée narrativement parlant qui n’indiffèrera personne?
Noah Baumbach confère à son œuvre une saveur documentaire qui, en plus d’être fort agréable, s’avère un hommage au genre. Les spectateurs auront l’impression de s’immiscer dans l’existence de l’infernal quatuor à leur insu. Baumbach use d’angles de caméra ingénieux. Il emploie également des teintes de couleur de style rétro complètement rafraichissantes et des éclairages invitants.
Bien qu’Amanda Seyfried et Adam Driver offrent des performances inspirées, Naomi Watts et Ben Stiller se démarquent du lot. Les expressions faciales totalement adorables et amusantes de Watts permettent de s’attacher immédiatement à Cornelia, malgré sa fausse empathie et gentillesse. On savait déjà que Stiller maitrise avec brio les naïfs sympathiques, mais là, il se surpasse! Son incrédulité est attachante. Lorsque son personnage prend conscience du tourbillon artificiel dans lequel il s’est enrôlé, ses réactions touchent nos cordes sensibles avec sincérité.
Même si Noah Baumach prend position trop fortement au lieu de laisser les spectateurs se forger leurs propres opinions, son neuvième film, While we’re young, est porteur d’observations délicieuses sur le clash générationnel qui valent la peine d’être visionnées.
Ce film est disponible en DVD et Blu-Ray à partir du 30 juin 2015.
Crédits Photos : While we’re young Twitter Page