Les coming of age ont toujours fait partie du paysage cinématographique, et la thématique n’est pas près de se démoder : c’est en effet un trauma que chaque adolescent a affronté à sa manière. Ce moment de notre vie où tout notre univers semble se bousculer, entre l’arrivée au secondaire et les nouveaux visages, que chacun vivra à sa manière. Au cinéma, cette période phare se manifeste souvent dans des œuvres profondes, uniques et sensibles. C’est le cas d’Une colonie, de Geneviève Dulude-De Celles.
L’œuvre, qui se situe à Pierreville, nous invite à suivre Mylia (Emilie Bierre), fillette s’apprêtant à vivre les moments les plus importants de sa jeune vie. Pour elle, le changement d’école et le passage au secondaire représentent aussi un environnement plus grand, complexe, qui la rend nerveuse et modifie son comportement. C’est autour d’elle et de son adaptation au secondaire que s’articulera le film. Mais Une Colonie évitera l’écueil de s’en tenir à des anecdotes du début du secondaire, présentant la même thématique de manière bien plus complexe. C’est que le village de région est situé tout près de la réserve Abénakise d’Odanak, d’où vient Jimmy (Jacob Whiteduck-Lavoie), jeune homme issu de l’éducation des Premières Nations dont Mylia fera la connaissance pendant le film. Cette rencontre, ainsi que la relation que les deux nouveaux amis tisseront accompagnés de Camille (Irlande Côté), la plus jeune sœur de Mylia, sera une révélation pour la fillette, qui verra une comparaison intéressante entre l’apprivoisement d’un nouvel environnement scolaire et l’intégration d’un jeune Abénaki au sein d’une société dans laquelle il peine à s’identifier. Rajoutez à tout cela un drame familial (portés magnifiquement par Robin Aubert et Cassandra Gosselin-Pelletier), et vous obtiendrez une œuvre finalement bien simple, mais qui est porteuse d’une grande sensibilité et d’une bonne maîtrise de la mise en scène de la jeune réalisatrice. La jeune Irlande Côté aura même réussi à me tirer une larme, ce qui ne m’était pas arrivé au cinéma depuis Les Invasions Barbares (que je n’ai vu que l’an dernier, mais tout de même). Bravo, et merci !
Si le scénario est d’une importance capitale afin de bien transmettre les émotions vécues par une adolescente arrivant dans une nouvelle école, la direction d’acteurs l’est tout autant, sinon plus. Il serait effectivement facile de tomber dans le piège d’À vos marques… Party!, transformant ainsi notre film en comédie facile sur les relations amoureuses et la jeunesse. Fort heureusement, Une Colonie évite ces pièges, favorisant un réalisme troublant, autant au scénario qu’au jeu, recréant ainsi avec beaucoup de vérité le début du secondaire. Allant jusque dans les moindres détails (l’enseignante, au premier cours, qui vérifie que tout le monde dans la classe a bien compris l’horaire des cours qu’ils devront suivre), on aura véritablement l’impression de revivre l’angoisse que, finalement, nous avons tous connue à un certain niveau. Quelques scènes semblent un peu plus plaquées et déjà vues à la tonne au cinéma (le fameux moment où le personnage principal, après un long regard mélancolique vers le plafond de sa salle de bains, s’enfonce le visage dans l’eau de la baignoire, ou la séquence où tout le monde danse au ralenti dans sa cuisine, bien populaire au Québec depuis Mommy!), mais de manière générale, les jeunes acteurs sont troublant de vérité, autant dans les moments plus forts que dans la banalité de leur quotidien. Les cinéphiles ayant apprécié l’an dernier Eighth Grade, de Bo Burnham, retrouveront dans Une Colonie le même sentiment de réalisme et le même travail au niveau de la mise en scène.
Au final, le premier long-métrage de fiction de Geneviève Dulude-De Celles est à voir. Le film ne réinvente pas la roue, mais sa grande sensibilité, son audace et particulièrement le talent des jeunes comédiens qui portent l’œuvre sont admirables. Une Colonie est porteuse d’un message important, et il fait du bien d’accorder une importance à la voix Abénakise dans ce contexte où toute une génération est consciente des enjeux importants de la société, malgré ce que les livres d’histoire enseignés au secondaire persistent à dire.
Un film sensible, maîtrisé, réalisé avec énormément de finesse. Thématique classique, mais abordée de manière originale, voire nécessaire.