C’est avec beaucoup de surprise que Titane, le dernier film de Julia Ducournau, remporta la Palme d’Or de l’année, à Cannes. Non pas que le film ne soit pas de bonne qualité, ou qu’il ne mérite pas ses honneurs (au contraire!) Il est seulement surprenant de voir un film aussi subversif, différent, d’une écriture unique, remporter les éloges d’un critique généralement réputé pour sa propension classique et académique. Si Titane est une bonne nouvelle pour le cinéma, la reconnaissance que le film acquiert l’est encore plus.
Le titre du film provient d’une plaque de titane qu’Alexia (Agathe Rousselle) s’est fait implanter dans le crâne dès sa tendre enfance, suite à un accident de voiture causé par l’inattention de son père. Aussitôt qu’on termine l’opération qui lui sauvera la vie, un changement de psyché s’opère en la fillette, qui se prend aussitôt d’une obsession affective, quasi-sexuelle, pour les voitures, incarnant la puissance, la robustesse, la combustion des moteurs.
On retrouve donc Alexia, mi-vingtaine, alors qu’elle est en plein dans son élément; danseuse de charme dans une sorte d’hybride entre un bar et un garage, elle développe une relation extrêmement étroite alliant la chair et le métal. De cette union autant physique que spirituelle résultera bientôt des transformations physiques, alors qu’elle découvrira bien vite des dépôts d’huile (eh, oui) s’accumulant en-dessous de son ventre qui ne cesse de grossir.
Titane s’articule donc autour de la métamorphose d’Alexia, qui devra quitter cet environnement qui lui est cher, préférant la fuite plutôt que d’assumer pleinement son identité. Elle développera une relation complexe (mais Ô combien intéressante et cinématographique) avec Vincent (Vincent Lindon), sapeur-pompier désabusé, fatigué, obsédé par la disparition de son fils unique (obsession qu’Alexia exploitera en se faisant passer pour le jeune garçon). Ensemble, ils évolueront et se transformeront, chacun prenant conscience et acceptation de leur identité propre. Il se nourrit de sa présence, alors qu’elle s’approprie sa puissance. La relation de Vincent avec le feu n’est d’ailleurs pas étrangère aux impulsions pratiquement sexuelles qu’Alexia aura ressenties avec la mécanique automobile.
On connaît l’univers de Julia Ducournau (qui avait également réalisé Grave en 2016) comme étant surréaliste, et ce, malgré la touche naturaliste qu’elle parvient à insuffler à son intrigue et sa réalisation. Mais si, comme dans Grave, Titane propose des scènes sortant clairement d’un cadre réaliste, on les présente avec beaucoup moins de finesse et de subtilité. L’univers de Ducournau semble plus établi que dans son dernier film, et on prendra moins de temps à justifier certains excès. Le résultat est très puissant, et ce qui semble incongru au scénario est toujours expliqué par l’obsession maladive de pratiquement tous les personnages.
Malgré un traitement moins nuancé, il y a énormément de similitudes à noter entre Titane et Grave. D’abord la présence de Garance Marillier (qui avait interprété Justine à merveille dans le film de 2016), qui reprendra son rôle pendant quelques scènes afin de contextualiser le film dans le même univers éclaté que Grave.
On compare beaucoup le cinéma de Ducournau à celui de David Cronenberg, et avec raison. Les deux films de la réalisatrice présentent un personnage principal à la recherche d’une grosse part d’eux-mêmes (si Grave traitait de la consommation de la sexualité, Titane exprime davantage la recherche d’identité de genre). Dans les deux cas, la transformation des personnages s’exprimera à l’aide de mutations physiques, d’obsessions, de body-horror et d’abjection, où le véritable mal se situe à l’intérieur de soi. Mais si Ducournau fait son chemin dans les traces de Cronenberg, elle y insuffle tout de même un nouveau souffle, moderne, éclaté, unique.
Titane n’a peut-être pas la même sensibilité et finesse que dégageait Grave il y a quelques années. Sa proposition est différente, tout en demeurant dans cet univers décalé qu’on souhaite du cinéma de Ducournau. Entourée d’un casting et d’une production de qualité, la réalisatrice signe un film unique, une rare fois où un film qu’on pourrait qualifier de genre a tout de même remporté la Palme d’Or.
Crédit photos: Entract Films