Sorry to Bother You, l’un des grands hits du Festival de films de Sundance de 2018, est certainement l’un des films les plus inventifs parus ces dernières années. En jouant entre le surréalisme, le fantastique et même la science-fiction, le premier long-métrage du rappeur américain Boots Riley pourrait facilement être comparé à une chanson punk. Tant sur le plan visuel que par la manière dont son histoire nous est racontée, Sorry to Bother You est un film complètement éclaté, monté de façon dynamique et porteur d’un grand discours anticapitaliste qui nous donne envie de nous rebeller.
Même si le film se déroule à Oakland au temps présent, Sorry to Bother You nous plonge dans une réalité alternative. Plus précisément, dans un monde où les émissions télévisées les plus regardées aux États-Unis sont celles où l’on voit des gens se faire humilier en direct par tous les moyens possibles, et où il est moralement acceptable de créer des colonies d’esclaves pour réduire les coûts de production de produits locaux. Pendant ce temps, Cassius « Cash » Green (Lakeith Stanfield), un jeune afro-américain, tente désespérément de trouver un emploi pour pouvoir rembourser l’argent qu’il doit à son oncle Sergio (Terry Crews). Heureusement pour lui, il réussit à trouver rapidement du boulot, en étant embauché par l’agence de télémarketing Regal View.
Le seul problème est que Cassius n’est pas un très bon vendeur. C’est pourquoi Langston (Danny Glover), l’un de ses collègues noirs, l’approche et lui dévoile le truc qu’il faut employer pour attirer l’attention des clients : utiliser sa « voix blanche intérieure ». Selon Langston, tous les Noirs en ont une, pour être en mesure de se sortir de toutes sortes de pétrins. Vous devinez la suite ? Cassius décide d’utiliser sa voix de Blanc lors d’un appel et parvient instantanément à faire une vente. Dès lors, avec la clé du succès maintenant entre ses mains, le jeune homme d’Oakland se voit grimper rapidement au sommet de la hiérarchie de Regal View. Du moins, jusqu’à ce qu’il découvre le terrible secret de Steve Lift (Armie Hammer), son employeur.
Dès le début, Sorry to Bother You nous sensibilise à ses personnages et à son univers complètement disjoncté qui, il faut bien le dire, n’est pas si différent du nôtre. En effet, que ce soit en montrant Cassius et ses camarades contester l’autorité pour améliorer leurs conditions de travail, ou même voir celui-ci se questionner sur l’importance de son existence, le récit de Boots Riley parvient facilement à éveiller le type de questions que n’importe qui peut se poser au moins une fois dans sa vie. Quel est notre rôle sur cette Terre? Comment pouvons-nous contribuer à l’avancement de notre civilisation pendant que des compagnies milliardaires de partout dans le monde ne cessent de croître par leur désir de tout contrôler? C’est là où l’on ressent le plus le discours idéaliste, puis plus tard anticapitaliste, de Boots Riley. En revanche, Sorry to Bother You perd énormément de son envol dans sa seconde moitié. En effet, plutôt que de proposer une solution aux questions qu’il soulève dans son film, Boots Riley s’amuse à exposer de manière satirique et extrêmement graphique les côtés sombres du capitalisme d’aujourd’hui et de l’emprise des « hommes blancs et riches » sur le monde. Dès lors, ceux et celles qui s’attendaient à voir une comédie dotée d’une quelconque forme de subtilité, puisque c’est ce que le début du film laisse un peu sous-entendre, ne pourront qu’être déçus par cette direction empruntée par le réalisateur américain.
Sinon, même si son scénario aurait grandement mérité d’être resserré de façon à se concentrer davantage sur les éléments fondamentaux de l’histoire de Cassius, Sorry to Bother You arrive quand même à nous faire passer un bon moment. Après tout, le film de Boots Riley nous présente l’une des prémisses les plus originales parues dans un film depuis plusieurs années. Il est difficile de ne pas éclater de rire en écoutant des Noirs emprunter des voix de Blancs pour obtenir ce qu’ils désirent, et ce, même si le montage sonore n’est pas toujours à son meilleur. La réalisation est à l’image de The Coup, le groupe musical dont Boots Riley fait justement partie : c’est funky, coloré, rythmé, et surtout très éclaté. Visuellement, rien d’aussi inusité n’est sorti en salles cette dernière année. Ainsi, ceux qui ont envie d’assister à un spectacle surréaliste en auront véritablement pour leur argent. Il y a même une scène dans le film qui rend hommage au réalisateur français Michel Gondry, connu pour ses mises en scène on ne peut plus disjonctées.
Autre point fort du film de Boots Riley, la distribution est menée de main de maître par Lakeith Stanfield, qu’on a pu regarder dans la série télévisée Atlanta (de 2016 à aujourd’hui), ou encore Get Out (2017). ’acteur originaire de la Californie réussit très bien à rendre son personnage drôle et attachant, même si son aventure le force à ne pas toujours emprunter la « voie » de la moralité. Quant à Tessa Thompson, que l’on a pu voir récemment dans Annihilation (2018) et Thor : Ragnarok (2017), elle joue le rôle de Detroit, la petite amie de Cassius, une artiste expérimentale connue pour changer souvent de boucles d’oreilles. Ensemble, Stanfield et Thompson volent facilement la vedette dans une distribution qui inclut nuls autres que Armie Hammer, Steven Yeun, Terry Crews et Danny Glover. Pour ne nommer que ceux-ci.
Grâce à une prémisse amusante, une distribution hors pair et un style complètement éclaté, Boots Riley réussit à faire de Sorry to Bother l’un des films les plus mémorables de cette année. Ce premier long-métrage du scénariste et réalisateur américain aurait gagné à être resserré afin de solidifier son propos. Mais il n’en demeure pas moins que Sorry to Bother You est une excellente comédie surréaliste qui saura plaire à tous ceux et celles qui ont envie de se lancer tête première dans l’univers funky et disjoncté du télémarketing, ré-imaginé par Boots Riley.
Date de sortie: 13 juillet 2018
Crédits images: Films Sévilles, IMDB
Extrêmement inusité, sauvagement satirique et offrant l’une des prémisses les plus originales jamais imaginées, Sorry to Bother You est sûrement l’un des films les plus éclatés que vous n’aurez jamais vus.