L’univers de la BD est souvent synonyme d’un ton loufoque, léger et enfantin ou bien d’action et de suspense qu’amène un univers fantastique ou fantaisiste. Les dessins presque abstraits des « Paul » et ses titres candides dignes des livres Martine nous laissaient envisager un univers racoleur et léger. Détrompez-vous, son adaptation au cinéma se veut extrêmement touchante et profonde.
Paul, l’alter ego du bédéiste Michel Rabagliati n’est pas vraiment le genre de personnage qui vit mille et une aventures rocambolesques et dangereuses ni le genre qui vous fera rire par sa maladresse ou par un nombre impossibles de quiproquos. Paul, c’est vous, c’est moi. C’est plutôt le genre de personnage qui regarde tout le monde dans le métro ou dans l’autobus en essayant d’imaginer une vie à chacun. C’est aussi le genre qui va laisser couler l’eau sous les ponts. Ce Paul, interprété par François Létourneau (Les Invincibles, Série Noire) n’est pas le Ti-Joe connaissant ni le raconteur d’une famille. Il est celui qui philosophe discrètement dans son coin presque effacé du groupe qui apprécie simplement la vie. Difficile de ne pas s’attacher à Paul qu’on découvre (évidemment et heureusement) par sa narration et par ses dessins.
On est donc spectateur avec Paul de la famille de sa blonde, une famille québécoise pure laine encore amère d’avoir perdu son pays avec Lévesque, mais toujours fière de leur Québec. Ils sont soudés et ils s’aiment tellement fort que parfois, ils ont peur de blesser les autres en disant la vérité. Le mensonge adoucit les mœurs. On suit donc Roland, en phase terminale d’un cancer que l’on croyait au départ anodin. Évidemment, le film se veut extrêmement lourd, comme la plupart des films sur la mort. Mais Paul à Québec réussit à demeurer une comédie lumineuse sur la vie qui continue plutôt qu’un drame trop mélancolique sur la maladie et sur la peur de mourir. Tout le charme de la série Paul réside dans un récit raconté presque sous forme de conte à travers ses chapitres et à un humour parfois cynique, parfois nostalgique d’une époque où on achetait nos premiers ordinateurs et où Paul Piché était un peu plus à la mode.
La série Paul comporte d’autres volets, on le sait, mais si on adore l’innocence de Paul et la profondeur de son beau-père, Roland, on aurait aimé aussi avoir plus de profondeur chez les personnages secondaires, particulièrement chez les deux sœurs de Lucie, campés par Brigitte Lafleur et Myriam Leblanc et de leurs copains, interprétés par Patrice Robitaille et Mathieu Quesnel. D’ailleurs, ces deux derniers personnages ne sont là finalement que pour tirer un sourire ou deux et on semble même vouloir s’en débarrasser à plusieurs moments du film quand on leur demande de partir ailleurs pour s’occuper des enfants. Une joke de beaux-frères peut-être? Heureusement, les personnages les plus attachants sont ceux de Roland (Gilbert Sicotte) et la petite fille jouée par la plus que prometteuse Shanti Corbeil-Gauvreau, deux personnages très proches et semblables malgré une génération qui les sépare.
Le choix des acteurs est aussi l’une des grandes forces de l’adaptation. François Létourneau est excellent et réussit à apporter beaucoup de nuances à son jeu malgré le côté très effacé de son personnage. Julie LeBreton, Lise Portal et le reste de la distribution sont aussi impeccables, mais inévitablement, un acteur vole complètement la vedette. Gilbert Sicotte est saisissant et criant de vérité (ça sent le Jutras, je vous dis…). Insulte à son âge ou compliment à son maquilleur, le comédien semble vraiment périr au fil des scènes, tant physiquement que psychologiquement, et le réalisme de son jeu touche droit au cœur tant on a l’impression d’assister au cancer d’un véritable homme.
La réalisation de François Bouvier (30 Vies, Maman Last Call) est sobre, mais laisse toute la place à l’émotion, à l’histoire et aux personnages. Certaines parenthèses sur d’autres personnages du roman graphique ont été coupées pour le bien de l’histoire, mais quelques scènes secondaires sont restées et viennent ponctuer élégamment le récit. Les flashbacks sont somptueux et originaux et quelques bulles narratives (Les visites ou bien l’achat d’un ordinateur) rendent le film beaucoup plus divertissant qu’il en a l’air. Les dessins originaux de la BD savamment incorporés au film viennent aussi rappeler le côté biographique de l’auteur Michael Rabagliati.
Le récit se veut relatif, donc universel en quelque sorte. Perdre un grand-père, perdre un père, perdre un mari ou apprendre qu’on va mourir apporte tous des émotions fortes, mais tellement différentes que l’on vit chacun à sa façon. Paul à Québec réussit donc à toucher et à plaire à toutes les tranches d’âge. Paul est certainement effacé dans cette histoire, mais ce n’est que pour donner un hommage encore plus poignant à son beau-père. Un film touchant et formidable dans sa simplicité. À voir absolument et surtout (permettez-moi finalement de citer un certain Luc Senay) allez-y avec la famille!