Lorsqu’apparaît noir sur blanc en début de film le titre du dernier long métrage de Darren Aronofsky, « mother! », le point d’exclamation disparaît en dernier. C’est que mother! est un cri du cœur, et s’il est articulé de main de maître par l’un des plus grands cinéastes de sa génération, il est si intense et si subversif qu’il attirera la controverse pour des décennies à venir.
L’histoire se déroule dans une demeure de campagne isolée. Une femme, interprétée par Jennifer Lawrence, y habite avec son mari, un poète en panne d’inspiration campé par Javier Bardem. Tous deux tâchent de restaurer la demeure, qui fut visiblement endommagée par un incendie il y a quelque temps. Or, l’arrivée inattendue d’un second homme (Ed Harris), accompagné de sa femme (Michelle Pfeiffer), vient troubler leur existence tranquille. Bien que le poète en voit sa créativité de nouveau stimulée, sa femme apprécie moins les deux invités qui deviennent rapidement beaucoup trop à l’aise et la questionnent sur sa vie sexuelle et son envie d’avoir des enfants. C’est alors que font irruption à leur tour dans la maison les deux fils du couple; de leur dispute s’ensuit un terrible acte de violence.
Jusqu’ici, mother! prend des airs de thriller psychologique que Roman Polanski aurait pu vouloir faire dans les années 1960 (notons d’ailleurs l’hommage bien senti du film à Rosemary’s Baby (1968) sur l’une de ses affiches officielles). Toutefois, lorsque plus d’individus arrivent à la maison sans trop savoir pourquoi, qu’ils clament haut et fort que les paroles du poète ont donné un sens à leurs vies, qu’ils se mettent à vandaliser les lieux et à transformer la paisible demeure du couple en théâtre de la débauche et de l’horreur, le film commence à suivre la logique surréelle d’un cauchemar. Il continuera dans cette direction tordue beaucoup plus loin qu’on ne pourrait s’y attendre, peut-être trop selon certains.
En fait, il faut voir le film comme une grande métaphore. De façon simpliste, le poète représente Dieu, un maître de maison qui accepte tout le monde et dont les paroles sont sacrées. Sa femme, en plus d’être sa muse, est la personnification de la grâce et de la pureté – de la nature. Innocente et impuissante, elle subit l’invasion et les conséquences de la présence d’invités indésirables qui envahissent sa maison, la martyrisent et détruisent tout ce qu’elle essaie de construire, l’intrusion débutant par l’arrivée d’un homme et d’une femme rappellant Adam et Ève et dont les fils, tels Abel et Caïn, s’engagent dans un conflit mortel en raison des avoirs plus importants que possède le premier par rapport au second.
Aronofsky avait aussi cherché à incorporer des éléments importants de l’Ancien Testament dans une de ses œuvres. Son film précédent, Noah (2014) était beaucoup moins subtil à ce sujet, mais les films partagent un thème que je soupçonne être une obsession chez le réalisateur, celui du désir de perfection pour une création – quitte à devoir tout détruire pour recommencer.
Dans sa structure plus abstraite et symbolique, mother! rappelle plutôt The Fountain (2007), autre film très controversé du cinéaste, mais son ambiance claustrophobe et cauchemardesque se rapproche davantage de celle de Black Swan (2010). La direction photo a beaucoup à jouer là-dessus et elle est signée par Matthew Libatique, qui en est à son septième long-métrage avec le réalisateur. Les images se trouvent en grande majorité dans des teintes brunâtres, beiges ou vertes et l’usage de la pellicule 16mm leur confère une texture encore plus organique.
Quant à Jennifer Lawrence, c’est à travers les yeux de son personnage que nous voyons l’histoire et elle livre la performance de sa vie. Elle est très souvent cadrée en gros plans et doit passer par tout le spectre des émotions – surtout le côté sombre – avec une intensité des plus décoiffantes. On raconte d’ailleurs qu’elle s’est déchirée le diaphragme à force d’hurler lors du tournage de la séquence la plus horrifiante du film.
Au final, mother! n’est pas facile à critiquer parce qu’il est difficilement comparable. Aronosfsky reprend certains des meilleurs éléments de ses autres films, – ton de Black Swan, abstraction de The Fountain, passion de Noah – pour en faire son plus audacieux, son plus détraqué, et à mon sens, son chef d’œuvre. mother! est une fable créationniste, oui, mais aussi et surtout un poème visionnaire et criant sur la condition humaine, sa subjectivité et sur toutes les horreurs qui en découlent. Du grand art!
Crédit Photos : mother! Facebook
Le nouveau film de Darren Aronofsky est son plus intense, son plus abstrait, et possiblement son plus virtuose. Il ne laisse aucun doute sur la force de sa vision et sur sa maîtrise du médium, mais c'est une oeuvre qui déplaira forcément à beaucoup.