C’est en 1963 que Peter Brook réalisa l’adaptation du succès de William Golding, Le Seigneur des mouches. Et près de 60 ans plus tard, c’est probablement encore la version Brook qui est la plus fidèle à l’original. Malgré les censures abondantes ainsi que les contraintes de la société de l’époque, il réussit à livrer un film choquant, où la violence est intérieure, où la folie est toute en subtilité.
Le Seigneur des mouches est l’histoire d’une quinzaine de jeunes qui, en temps de guerre, sont exilés de leur Angleterre natale par avion. Après un accident qui les parachutera sur une île déserte, les enfants seront livrés à eux-mêmes, forcés à s’unir afin de fonder une microsociété au cœur de l’inconnu. Bien entendu, plusieurs camps se formeront : Les intellectuels, dirigés par Ralph (James Aubrey) et Piggy (Hugh Edwards), qui se concentrent sur la survie et la communication avec le monde extérieur ; ainsi que les chasseurs, dont le chef, Jack (Tom Chapin), ne semble avoir aucune limite. Ces derniers, plus barbares, sont prêts à tuer toutes les bêtes sauvages pour sauver leurs amis.
Ce qui semble au départ être une alliance efficace (surtout puisqu’elle est orchestrée par une poignée d’enfants, tout de même !) tournera rapidement au cauchemar lorsque les jeunes, alertés par ce qu’ils appellent entre eux la bête (créature mythique qui prendra plusieurs formes dans l’inconscient des rescapés), agiront sans penser, commettant bêtise après bêtise. C’est au bout de quelques jours que les tensions éclateront et que les jeux de pouvoir se feront de plus en plus sanguinaires, jusqu’à en venir au meurtre.
Cette ascension de la folie humaine est représentée avec finesse dans Le Seigneur des mouches. En créant un microcosme constitué uniquement d’enfants (représentant l’innocence), Golding rendait crédible toutes les actions des jeunes, aussi barbares soient-elles. Et c’est impuissant que nous assistons à la décadence d’une société qui aurait pu être sauvée, fut-elle mieux contrôlée. Le récit original de Golding est très bien rendu dans son adaptation cinématographique. On aurait pu gâcher l’intensité de l’intrigue à cause de trop grandes censures, mais le tout est livré avec finesse, sans être trop violent ni trop allégé.
Les acteurs, malgré leur jeune âge, s’en tirent plutôt bien. On notera que le travail de jeu d’acteur fut plutôt dirigé du côté des protagonistes ; Aucune surprise donc si les jeunes figurants semblent moins à l’aise que leurs comparses. Regards à la caméra, incertitudes dans les mouvements et autres maladresses gâcheront quelque peu le jeu global, mais on pardonne à ces enfants qui, malgré tout, jouent avec le mieux de leurs connaissances.
Le Seigneur des mouches a fait l’objet de plusieurs autres adaptations, dont la plus connue fut produite en 1990. Celle-ci, réalisée par Harry Hook, est aussi bien exécutée, mais le charme de la version 1963 est tout de même supérieur. Malgré l’aspect vieillot créé par le noir et blanc et la post-production sonore de qualité moyenne, le film a très bien vieilli. La réalisation de Peter Brook, sans être tape-à-l’œil, est juste et efficace.
Bien entendu, comme la majorité des adaptations cinématographiques, l’original reste le meilleur. Le Seigneur des mouches est une bonne porte d’entrée pour découvrir l’oeuvre de l’écrivain William Golding.