C’est après un passage couronné de succès à Cannes, rapportant le prix du Jury Coup de Cœur Un certain regard, que le premier long-métrage de Monia Chokri, La femme de mon frère, fera sa sortie en salles québécoises. Si la réalisatrice est avant tout connue comme comédienne (on se souviendra de son passage dans Les amours imaginaires et Laurence Anyways de Xavier Dolan, et également à la télévision dans Nouvelle Adresse), on reconnaîtra une grande sensibilité et un talent indéniable de mise en scène dans La femme de mon frère.
Le film met en vedette Anne-Élisabeth Bossé, interprétant Sophia, jeune étudiante venant d’obtenir de peine et de misère son doctorat, et entrant désormais dans cette zone un peu floue postuniversitaire. C’est avec une approche plutôt cynique et pince-sans-rire qu’elle aborde son avenir, qu’elle entrevoit de manière assez floue, peu positive. Tout près d’elle, en guise d’accompagnement spirituel, son frère Karim (Patrick Hivon), qui semble avoir atteint ce que la société considère comme une réussite : bien nanti, a du succès auprès de la gent féminine, bel homme, il ne semble pas manquer de quoi que ce soit. Et les liens familiaux étant ce qu’ils sont, ces deux personnages pourtant à une zone spirituelle plutôt différente, se complètent et se confèrent un support mutuel qui sera porté à l’écran de manière juste par le scénario et la réalisation.
Le premier acte du film ne sera pas sans rappeler un style de cinéma classique : peu de personnages, beaucoup de dialogues, longs plans d’exposition bercés d’une musique classique pour laisser filtrer les émotions. C’est une réussite, qui nous guide jusqu’à l’apparition d’Eloïse (Evelyne Brochu), qui viendra bien évidemment tout chambouler.
Il faut dire que ce personnage interfère avec le frère et la sœur de manière assez drastique. Au moment où elle commence à fréquenter Karim, elle est également la gynécologue s’occupant de l’avortement de Sophia. Cette sorte de double identité à ce personnage (d’un côté l’amoureuse, de l’autre, le bourreau) restera jusqu’à la fin du film le conflit le plus puissant entravant le lien familial pourtant fort entre le frère et la sœur. Car si plusieurs thématiques sont abordées dans La femme de mon frère, c’est avant tout celui de l’importance d’un nœud familial qui resurgira.
Les scènes présentant la famille de Sophia et Karim sont d’ailleurs les plus réussies du film, et les performances de Micheline Bernard et Sasson Gabai comme parents ne sont probablement pas étrangères à ce succès. Mêlant un scénario savoureux et réaliste, où on reconnaîtrait chaque famille, avec ses excès et disputes insensées, et un montage réussi donnant un rythme presque essoufflant aux discutions de table, on y retrouve finalement le questionnement dominant de l’œuvre : comment reconnaître sa place dans une société, dans un monde où le sentiment de réussite se mesure en terme d’apparence physique et de succès financier. Le questionnement est valable, bien abordé dans le film, et même si on n’y trouvera peut-être pas de réponse précise, c’est avec justesse que la problématique est abordée, et l’oeuvre portera à réflexion.
La femme de mon frère traite donc d’un sujet intéressant, présentant une femme à sa mi-trentaine qui cherche toujours un sens à son existence. On évitera l’écueil de tomber dans un film lourd et drabe (qu’on reproche à tort ou à propos aux films québécois actuels), alors que plusieurs éléments comiques (réussis!) donnent un rythme au film, qui parvient pourtant à conserver son sérieux, sa mise en scène classique et son impact.
Crédits photo : Les films Séville
La femme de mon frère dégage un sentiment de vérité, d'amour et de connaissance du cinéma. C'est un premier long-métrage prometteur pour Monia Chokri, qui réalise un film sensible, divertissant et actuel!