Suite à sa sortie en salles ajournée l’année dernière, c’est avec beaucoup de plaisir qu’on peut retrouver La déesse des mouches à feu dans les salles de cinéma. Le long-métrage d’Anaïs Barbeau-Lavalette, adapté du roman de fiction éponyme de Geneviève Pettersen, se veut un troublant portrait du quotidien d’une bande d’adolescents, troublés par la révolte, la drogue, le sexe et la débauche. Un milieu difficile, qui, même s’il est souvent exploré au cinéma, réussit dans ce cas-ci à atteindre sa cible, grâce à la qualité de sa mise en scène et distribution.
Une mouche à feu, c’est ce minuscule insecte qui parvient à percer l’obscurité de sa lumière, malgré son caractère éphémère. On n’aurait pu choisir un meilleur symbole pour représenter Catherine (Kelly Dépeault), 16 ans, vivant durement le divorce de ses parents et endurant en silence les crises de son père (Normand d’Amour) qui revient sporadiquement dans son entourage afin de lui remettre des chèques exorbitants, au grand dam de sa mère (Caroline Néron). Cet argent tombé du ciel lui servira notamment à cimenter la nouvelle amitié que la jeune femme s’est forgée avec Mélanie et son copain Pascal (Marine Johnson et Antoine Desrochers), Marie-Ève (Éléonore Loiselle qui crève l’écran) et le discret Keven (Robin L’Houmeau). Puisque Catherine peut se le permettre, et parce qu’elle le veut bien, elle entrera avec son nouveau groupe d’amis dans une spirale de vices et d’excès, de joints avant le cours de sciences à la mescaline dans un chalet isolé. D’un œil extérieur, la déchéance est imminente et évidente, mais toutes les décisions sont bonnes du point de vue de Catherine, qui voit en ce nouveau cercle d’amis un lieu où elle est enfin en sécurité, où elle peut explorer qui elle est avec des gens qui la comprennent.
Évidemment, les agissements du groupe d’adolescents les rattraperont, alors qu’au fil de l’intrigue, qui s’articule entre une découverte sexuelle et prises de drogues (et de risques) de plus en plus élevés, on les verra sombrer dans une santé mentale vacillante, jusqu’à l’inévitable. Ces séquences difficiles, qui peuvent facilement tomber dans le cliché, sont pourtant portés par une distribution solide, une direction d’acteur.trices franchement impressionnante et un scénario dont il faut saluer le réalisme. La scénariste Catherine Léger, qui nous avait habitués à porter des voix d’adolescents avec justesse et précision dans Charlotte a du fun, récidive ici avec des textes qu’on croirait sortis de conversations réelles entre adolescents, et ceux-ci sont portés par une équipe de comédiens talentueux. On ne vante plus les mérites de Marine Johnson, Robin L’Houmeau et Antoine Desrochers, mais c’est particulièrement le duo Kelly Dépeault / Éléonore Loiselle qui nous laisseront bouche-bée, dans certaines scènes ardues pour les comédiennes, qui réussissent néanmoins à porter des sujets difficiles avec une grande sincérité. Tout ça dans l’environnement sonore d’Offenbach et des BB, mais aussi de David Bowie, Portishead et The Cramps. Parfait mélange.
Malgré la précision de l’écriture et l’amour que la réalisatrice semble porter à ses personnages, on sent parfois que certaines scènes, davantage poétiques, empruntent à des clichés qui auraient pu être évités. Le personnage enfonçant sa tête sous l’eau pour crier, la ballade à vélo en ville où les protagonistes se libèrent en lâchant le guidon et criant, le vent au visage… Ces quelques séquences du film souffrent d’avoir été vues mille fois ailleurs. Mais on réussit tout de même à aller au-delà de ces quelques accrochages, et même si certains moments nous rappellent ce qui commence à être un cliché du drame (mention honorable à la désormais inévitable scène de danse au ralenti), le film demeure porteur d’assez d’émotions pures et vraies pour éclipser ces légers bémols.
À l’opposé, d’autres séquences peuvent être extrêmement graphiques, osées pour un film mettant en vedette des personnages adolescents. Si certains plans (vous saurez rapidement lesquels en écoutant le film) vont assurément choquer, et qu’ils ne feront définitivement pas l’unanimité, ils réussissent à nous provoquer et s’inscrivent complètement dans le caractère crû et brut de ce que les adolescents vivent et découvrent.
La déesse des mouches à feu n’est pas une intrigue qui réinventera la roue. Mais si le coming-of-age d’Anaïs Barbeau-Lavalette rappelle d’autres œuvres telles les fictions de Nelly Arcan ou Tout est parfait, c’est parce qu’il partage la même sensibilité, vérité et affection pour la situation difficile que vivent les personnages tout au long de l’œuvre. On y sent une honnêteté et une cruauté face auxquelles on ne peut rester insensibles. C’est un film réussi qui mérite ses honneurs, et une deuxième sortie en salles qu’on souhaite plus facile que sa première.
(Deuxième) Date de sortie au Québec : 26 février 2021
Crédit photos : Entract Films
S'il n'échappe pas aux quelques cliché des coming-of-age, le film d'Anaïs Barbeau-Lavalette se démarque pourtant par sa grande sensibilité, son traitement entre la poésie et le réalisme sa distribution impressionnante. Un film difficile, parfois crû, mais nécessaire.