En guise d’ouverture, une silhouette ressemblant étrangement à Philippe Falardeau s’avance devant une modeste carte du Canada affichée sur un mur en bois et s’exclame : Ce film est basé sur des faits véridiques qui ne se sont pas produits, mais ce ne saurait tarder. Voilà exactement ce qu’est Guibord s’en va-t-en guerre : une satire politique désopilante entrainant le spectateur à une introspection nécessaire qui ne pouvait arriver au meilleur moment.
En racontant l’histoire d’un député indépendant en région éloignée, qui par une absurde circonstance, se retrouve avec la balance du pouvoir sur l’envoi des troupes canadiennes en Afghanistan, Falardeau croyait, de son propre aveu, mettre en scène un scénario exagérément grotesque. La fiction ayant tristement rejoint la réalité en cours de tournage, le film affiche avec une lucidité remarquable la vision désabusée de bien des Québécois à l’égard de la politique. Au-delà des soupers spaghetti, des inaugurations dans des centres pour des personnes âgées et des rencontres teintées de malaises avec des citoyens du comté, Steve Guibord tente de résoudre des enjeux bien plus prioritaires auprès de la communauté autochtone. Malheureusement, ce n’est que son vote décisif concernant la guerre qui prend toute la place dans les médias. Influencé par les opinions divergentes de son stagiaire Souverain (Irdens Exantus), de sa femme Suzanne (Suzanne Clément) et de sa fille Lune (Clémence Dufresne-Deslières), Steve doit déterminer s’il laisse son cœur décider ou s’il saisit plutôt l’opportunité de devenir un politicien d’envergure.
Fort de son passage au Festival international du film de Locarno, Guibord s’en va-t-en guerre , agrémenté aux moments opportuns par une exquise trame sonore signée Martin Léon, bénéficie d’une gallerie de personnages à la fois sympathiques, maladroits et colorés. Tous contribuent à l’avancement du récit. On se reconnaît dans ces personnalités drôles et humaines. Irdens Exantus et Clémence Deslières-Dufresne incarnent avec brio la jeunesse studieuse, rebelle et rêveuse. Patrick Huard capte avec justesse les valeurs idéalistes de Guibord, son désir de mener une vie tout ce qui a de plus ordinaire ainsi que l’opposition entre volonté et jugement qui se vautrent dans un état de confusion déchirant dans son esprit. De son côté, Suzanne Clément offre une prestation absolument craquante. Sa fougue et son impulsivité séduisent. La chimie entre elle et Huard fait fondre. Ils ont créée un couple authentique qui demeure uni et qui accepte leurs désaccords même lorsque les tensions semblent insoutenables.
Falardeau le réalisateur se permet une mise en scène dynamique et des procédés stylistiques ingénieux s’harmonisant à merveille avec les intrigues. En plus de s’avérer heureuse, l’idée d’incorporer un élément commun dans deux lieux différents à l’intérieur d’une même séquence maintient agréablement le rythme de croisière. De plus, gageons que bien des spectateurs auront envie de visiter les sublimes paysages de Mont-Trembant et Val-d’Or , qui sont ici filmés avec inspiration et grandeur.
Falardeau le scénariste a trouvé l’angle parfait pour aborder l’ironie et la stupidité reliées à un sujet aussi important et sérieux. Drôle et revendicateur, le film expose sans complaisance les coulisses d’un univers étrange et fascinant duquel on a pas fini d’être désagréablement surpris. Tout en affirmant son point de vue, Philippe Falardeau laisse aux spectateurs la chance de confronter et confirmer leurs propres opinions sans se faire faire la morale.
Bref, Guibord s’en va-t-en guerre est un divertissement éducatif qu’il ne faut louper sous aucun prétexte (même s’il est malheureusement principalement diffusé qu’à Montréal).
Ce film est à l’affiche depuis le 2 octobre 2015.
Crédits Photos: Les Films Séville
https://www.youtube.com/watch?v=TYaXGOgDA6k