Les nominations pour les Oscars viennent d’être annoncées sur cette année riche en offrandes cinématographiques plus excellentes les unes que les autres. Les sélections sont au final peu surprenantes, mais on s’étonne à voir le nom de Steve Carell, l’éternel comique Michael Scott dans The Office nominé comme Meilleur Acteur. Il n’y a pas erreur sur la personne, puisque Steve Carell s’avère renversant. Une chose est sûre, vous ne le verrez plus de la manière après avoir vu l’excellent Foxcatcher.
Est-ce une comédie qui fait ressortir tout le talent de Steve Carell? Foxcatcher est un drame, même extrêmement sérieux. Et son personnage l’est encore plus. Bennett Miller, qui nous avait donné l’excellent Moneyball et l’une des meilleures performances de Phillip Seymour Hoffman avec Capote, a risqué beaucoup en choisissant Steve Carell et Channing Tatum pour des rôles aussi intenses. Heureusement, le jeu en vaut la chandelle. Foxcatcher raconte l’histoire vraie de John du Pont, un riche héritier (Carell) obsédé par la lutte et la consécration que lui apportent ses trophées. À la rechercher de nouvelles victoires, il décide de prendre sous son aile un ancien médaillé olympique, Mark Schultz (Tatum) pour former une nouvelle équipe et s’entrainer dans ses locaux à Foxcatcher Farm. Les médailles sont nombreuses et du Pont ne peut qu’être réjoui par cette nouvelle amitié avec son protégé.
Cette amitié ne dura pas tellement longtemps lorsque Dave Schultz (Mark Ruffalo), le frère de Mark viendra rejoindre l’équipe. Entre jalousie, drogue, manipulation et défaites, rien n’ira plus à Foxcatcher. Sans vous dévoiler la fin, bien que ce soit une histoire vraie et donc connue, le film raconte pourquoi John du Pont a été arrêté et emprisonné. Sans être un film extrêmement sportif sur la réussite et le dépassement de soi, Foxcatcher se penche plus sur la relation presque malsaine qu’a Mark avec son frère et John du Pont.
Bennett Miller réussit à rendre son film presque insupportable tant il peut être lourd et sombre. Par sa réalisation froide, mais raffinée et des coupures de ton souvent brusques où les célébrations ne durent que très peu longtemps, il apporte au film une ambiance austère que même les acteurs ont confirmée en partageant leur expérience de tournage épuisante où ils alternaient entre plateau de tournage et salle d’entrainement en permanence. Le film cherche d’ailleurs toute sa force dans ses silences inconfortables, autant dans ses dialogues où tout se passe dans le jeu des acteurs, que dans les combats où on entend que la brutalité des corps qui se frappent. D’ailleurs, tous les combats sont filmés avec énormément de réalisme; rien n’est laissé au hasard dans les mouvements des acteurs, qui ont été entrainé longtemps avant le tournage et les longs plans permettent d’apprécier ses scènes encore plus. Le réalisme du film peut cependant devenir pour certains un défaut. Lorsque la fin arrive, elle n’est nullement préparée, aucune montée dramatique, aucun indice, rien n’est installé et tout se conclu très rapidement. À première vue, cela peut sembler décevant, mais dès le générique commencé, le tout devient complètement déstabilisant et renversant.
Nul doute, Bennett Miller ajoute un autre chef-d’œuvre à sa feuille de route et prouve qu’un bon directeur d’acteur peut faire toute la différence. Steve Carell, qui nous avait habitués à tout le contraire de ce film, prouve qu’il peut être plus que crédible dans un rôle plus sérieux. Complètement méconnaissable grâce à une prothèse de nez et beaucoup de maquillage, l’acteur réussi à rendre son personnage énormément tangible et complexe, tellement qu’on trouve difficile à choisir entre le détester ou en avoir pitié. Channing Tatum est aussi d’une justesse renversante, silencieuse, mais plein de nuances dans son jeu. Au final, il n’y a que Dave Schultz, interprété par Mark Ruffalo, d’une force tranquille presque réconfortante, qui ne semble pas aussi troublé psychologiquement. Pourtant le comédien qu’on a pu voir dans The Avengers réussit à offrir l’une de ses meilleures performances en carrière que l’Académie a bien fait de souligner.
Malheureusement, j’ai du réviser mon appréciation du film en cherchant sur la vraie histoire de John du Pont et des frères Schultz. L’histoire a été beaucoup modifiée pour concorder avec le film de Miller et de nombreuses scènes sont complètement fausses, selon nombreux articles sur le sujet. Aucune information n’est révélée sur la femme de du Pont, du Pont n’a pas réellement sauvé Mark de la « dépression », les deux frères n’ont pas réellement séjourné à Foxcatcher en même temps, et pire encore, Mark Schultz joué par Channing Tatum ne s’est jamais « bleaché » les cheveux. Au moins, la cocaïne et le tank sont bien réels. On n’y voit que du feu en regardant Foxcatcher, mais on aurait souhaité plus de véracité de la part des scénaristes E. Max Frye et Dan Futterman.
Par contre, pour ce qui est de la recherche sur les personnages, on peut féliciter les scénaristes et le trio d’acteur de Foxcatcher. Même le vrai Mark Schultz dit avoir été troublé en voyant Steve Carell sur le plateau, car il croyait voir John du Pont devant lui tant physiquement que dans ses gestes, expressions et dans sa voix. Et le tout se ressent habilement dans le long-métrage de Bennett Miller. Du réalisme des personnages, au jeu des acteurs en passant par les combats plus vrais que nature, Foxcatcher déstabilise par sa froideur et donc pas nécessairement facile et agréable à voir. Disons seulement que ce n’est pas le genre de film à finir avec des bloopers comme générique. Mais le film doit quand même être vu pour son histoire à glacer le sang et pour ses performances d’acteur qui se mériteront, je l’espère, plus de trophées que l’a mérité John du Pont.