Agissant comme véritable renouveau dans le paysage cinématographique de la science-fiction, Ex Machina est une réussite en tout point. Tirant son titre de la locution latine « deus ex machina », désignant une divinité émergeant d’un mécanisme théâtral, le film du scénariste Alex Garland (Sunshine, 28 Days Later, Dredd) arbore sans l’ombre d’un doute les qualités, autant esthétiques que scénaristiques, qu’une appellation dans le genre laisse émerger dans l’espérance des spectateurs. Nous plongeant dans un univers de réflexions sur la nature humaine et la place de la technologie dans notre existence, Ex Machina réussit le pari que plusieurs, appartenant au même genre que celui-ci, échouent par maladresse; c’est-à-dire présenter une science à l’intérieur d’une fiction, et ce, avec panache.
Le thème de l’intelligence artificielle, et surtout de la dominance de celle-ci sur la race humaine, semble se trouver au cœur même de plusieurs passions cinématographiques récentes. Avec le tout récent Chappie et le quelque peu moins récent Transcendance, il est possible de voir un désir flagrant d’explorer ces thématiques. Malgré des ambitions explosives, ces deux œuvres, surtout cette dernière, tombent malheureusement dans la catégorie des essais ratés en offrant des portraits plats, sans vie, sans fond, stéréotypés et quasi ridicules du domaine de l’IA. C’est exactement dans ce piège que ne tombe pas Ex Machina. Au contraire, le film d’Alex Garland explore ce milieu au peigne fin et permet au spectateur de baigner dans un monde qui récemment n’a été adéquatement traité que par des films comme Her et A.I. (ou plus anciennement Blade Runner et 2001 : L’odyssée de l’espace).
Caleb, un jeune programmateur de 23 ans, employé chez Blue Book, une compagnie informatique mondialement reconnue, gagne un concours au sein de celle-ci. La récompense de cette « loterie »? Une semaine dans le domaine du PDG de l’entreprise et l’opportunité de participer à une nouvelle expérience sur une intelligence artificielle en développement. La portée d’Ex Machina ne se résume toutefois pas à un pauvre synopsis de quelques lignes. C’est à travers une multitude de réflexions sur l’origine même de notre conscience, de notre nature, que Garland établit son propos avec brio. Prenant place entre les murs d’un huis clos – sentiment de solitude assuré –, le récit progresse en alternant entre les séquences d’interrogatoire de l’IA, surnommée Ava, et les observations et remarques des deux chercheurs au sujet de celle-ci. De cette alternance nait un mystère technologique absolument palpitant qui réussit sans cesse à se renouveler, à nous surprendre et à demeurer pertinent en questionnant notre propre intelligence. Étudier les possibilités des avancées informatiques, analyser les répercussions de celles-ci, sonder des questions fondamentales telles que l’amour, la conscience, la connaissance, l’existence; tels sont les objectifs ultimes d’Ex Machina.
Malgré le fait que l’inexpérience de Garland en tant que réalisateur aurait pu mener ses talents d’auteur à perte, ce dernier s’en sort à merveille en démontrant une maitrise indéniable de la mise en scène à travers son univers filmique – univers qui prend vie grâce à une patte artistique très léchée, moderne et surtout très à-propos. Tout dans Ex Machina est exécuté avec élégance et éclat dans le but de s’accorder précisément avec le contenu narratif. La mise en scène intimiste permet une immersion considérable et laisse libre cours aux autres éléments plastiques du film : la direction artistique au point, les jeux d’éclairages remarquables et la conception artistique d’Ava, autant technique qu’esthétique, absolument splendide.
Au sujet d’Ava, il serait dommage de ne pas mentionner l’interprétation étonnante et nuancée d’Alicia Vikander qui réussit à rendre l’idée d’interaction avec une intelligence artificielle de manière tout à fait tangible. Domhnall Gleeson, quant à lui, s’en sort très bien et Oscar Isaac, ma foi, fidèle à son talent, remporte la palme de l’interprétation violente, intense et totalement déconcertante avec son interprétation du PDG excentrique Nathan. Le film nous fait voyager dans un monde étrange, non seulement grâce à ses acteurs, mais aussi grâce à sa musique. Véritable outil emphatique, la trame sonore d’Ex Machina rappelle les plus grandes œuvres de science-fiction par ses synthétiseurs et ses mélodies à tendances technos et, conséquemment, nous plonge à l’intérieur d’un mystère saisissant.
Pour conclure, Ex Machina est le vent d’air frais qu’attendaient les amateurs de science-fiction depuis les déceptions récentes – il est le District 9 de 2015. Ce film nous offre à travers un regard renouvelé un univers fascinant, étrange et troublant. Évidemment, étant donné le contenu très technique et « geekcentrique », la proposition d’Alex Garland est recommandée aux véritables admirateurs du genre – n’offrant au final que peu de choses pour les consommateurs non avertis. Vous voilà maintenant fin prêt. Pour tous ceux désireux de bonnes conversations intenses autour d’un café, Ex Machina est le film que vous attendiez.
Crédits Photos: Métropole Films