Après avoir financé des mini-séries documentaires à-propos de Charles Manson, Ted Bundy et plusieurs autres tueurs en série notoires, Netflix produit dernièrement un documentaire traitant du tristement célèbre Luka Rocco Magnotta. Le canadien ayant démembré sa victime avant d’en expédier les membres à différents partis politiques et médias au début de la décennie mérite-t-il réellement une série de trois heures pour expliquer ses gestes ? On pourrait douter de la nécessité du documentaire, mais Don’t F**k with Cats : Hunting an Internet Killer passe étrangement vite, et plusieurs éléments du cas Magnotta, de son trouble se reflétant dangereusement dans notre société, justifient amplement le temps qu’on mettra pour expliquer son histoire.
Au cours des trois épisodes d’une heure de la série, on abordera l’ensemble du dossier, commençant avec les multiples vidéos de violence animale ayant d’abord attiré l’attention vers le criminel, puis le meurtre commis à Montréal, avant d’aborder sa fuite et capture à Paris. Mais plus intéressant encore que les faits en tant que tels est le point de vue choisi pour aborder l’histoire. On reproduira en effet l’enquête menée par une poignée d’individus concernés sur Internet depuis les touts débuts. C’est avec eux qu’on vivra l’intrigue de la chasse à l’homme, la frustration de l’inefficacité des services de police qui ne prennent pas leurs inquiétudes au sérieux, puis leur joie lorsque Magnotta fût retrouvé. Certains intervenants pourront porter à confusion, par exemple une entrevue assez malaisante avec la mère de Magnotta, mais force nous est d’admettre que celle-ci a tout de même sa place dans le documentaire, ne serait-ce qu’afin d’assurer une plus grande impartialité de l’équipe de tournage. Il est difficile de ne pas prendre de camp face à une histoire aussi sordide, mais ce n’est pas dénué d’intérêt que de voir des personnes aussi proches du tueur tenter de prendre sa défense en ressortant des arguments qui seront tout de suite détruits par des faits. Parlant de faits, ceux-ci sont implicitement dévoilés durant le documentaire, et même si celui-ci ne fait heureusement pas l’étalage des vidéos du criminel, on en voit juste assez, et parfois un peu trop, pour s’en faire une bonne idée. C’est là que la question éthique se pose, et on ne pourra pas s’empêcher de jeter un regard effrayant sur la curiosité humaine.
Bien entendu, il est également nécessaire d’aborder l’aspect éthique du documentaire. Si l’histoire de Magnotta est tristement intéressante, ce n’est pas uniquement à cause de la personnalité narcissique de son sujet principal, s’inspirant des classiques tels qu’American Psycho ou Basic Instinct, mélangeant son histoire au cinéma, se prenant pour le DiCaprio de Catch me if you can en tentant de se sauver des autorités. Cette distanciation effrayante à la dureté de ses actes est probablement ce qui nous scotche à l’écran, et nous questionne quant à notre position par-rapport aux gestes posés par le tueur. Regarder une série documentaire à son propos n’est-il pas en effet la meilleure manière d’entrer dans son jeu, de lui accorder raison ?
La finale de la série tente un peu maladroitement d’aborder la question, alors que l’intervenante principale se retourne vers la caméra et nous interpelle directement : «Vous venez de regarder trois heures de matériel sur Magnotta. A-t-il gagné?». Visiblement, après bon nombre de séries produites par Netflix traitant de tueurs tous plus sordides les uns que les autres, et au vu de la popularité de ces productions, nous sommes intéressés par les aspects sombres de la nature humaine. Mais la qualité de la documentation de cette équipe, le travail de recherche et de montage ainsi que la visible tentative de neutralité justifient amplement qu’on s’attarde au cas Magnotta. Il est seulement très discutable de faire de ce monstre un spectacle, allant jusqu’à montrer sa mère qui semble se plaire dangereusement à jouer devant la caméra. Mais mis à part le cas en particulier, qui est peut-être trop proche de nous, à Montréal, pour qu’on puisse y porter un regard réellement neutre, l’acharnement et l’enquête menée par une poignée d’individus sur Internet afin de mettre la main sur ce qui était au départ un tueur de chats vaut tout de même le détour.
On se questionnera sur l'éthique du documentaire, ainsi que la notre, tout au long de l'écoute. Mais en faisant abstraction du sujet controversé, on saluera l'habileté du montage, la narration et de la recherche de l'équipe derrière le film.
