Parfois, entre deux productions Hollywoodiennes à grand public ou après une série de films d’action dont l’intérêt principal est le défoulement qu’il suscite, il est bon de découvrir quelques chefs d’œuvre qui, par leur pureté et leur simplicité, nous font vivre des émotions différentes. Aujourd’hui, ce type de production cinématographique est plutôt rare, mais il existe de ces réalisateurs qui résistent encore et toujours à l’envahisseur.
Jean-Pierre et Luc Dardenne sont deux frères belges qui réalisent leurs films en commun depuis toujours. On pourrait les comparer aux frères Coen de l’Europe. Leurs productions, fort peu conventionnelles, empruntent souvent leur forme au Dogme95 (mouvement cinématographique invitant les cinéastes à filmer leurs œuvres avec le moins de moyens possibles). C’est donc avec une intention fort différente que les frères Dardenne ont réalisé un tout petit bijou de différence, un film qui détruira vos habitudes, Rosetta.
Rosetta, c’est l’histoire d’une jeune femme entrant dans la vie adulte. Malheureusement, les joies du début de la vingtaine sont encore inconnues à Rosetta, puisqu’elle doit travailler d’arrachepied pour subvenir aux besoins de sa famille. Sa mère est alcoolique, elle ne se lève pas de son lit sauf pour combler les manques sexuels de leur propriétaire, leur permettant ainsi d’habiter un misérable camping-car dans un petit camping perdu. C’est dans cet univers sale et fort peu agréable à vivre que se déroule l’existence de Rosetta, qui, dès le début du film, perd son emploi. Rosetta raconte alors la quête existentielle de la jeune adulte. Si, à priori, Rosetta se cherche un emploi et un gagne-pain, c’est aussi une identité, une vie nouvelle qu’elle tente d’acquérir. Malheureusement, le lien l’unissant à sa mère est très difficile à briser, et Rosetta, qui a eu une éducation fort peu conventionnelle, aura toutes les misères du monde à se trouver un emploi.
Avertissement : Rosetta ne contient aucune trace de fusil, de violence, de meurtre ou d’explosion. En effet, il s’agit en tout et pour tout d’une quête personnelle. Tellement personnelle que la réalisation nous invite à suivre Rosetta du début à la fin du film. Et par «suivre», j’entends que la caméra sera placée derrière l’épaule du protagoniste jusqu’à la dernière minute. Nous voyons ce qu’elle voit, nous savons ce qu’elle sait. Les évènements antérieurs au film ne nous sont jamais révélés, et l’œuvre finit aussi abruptement qu’elle a commencé. Bref, Rosetta est une invitation à suivre un épisode de quelques semaines de la vie d’une jeune femme cherchant à se définir.
L’intérêt général de Rosetta n’est pas son intrigue, mais bien sa réalisation. Comment mentionné plus tard, la forme du film est empruntée à celle prônée par Lars Von Trier dans son Dogme95, qui excluait toute forme d’effet spécial, d’accessoire, de montage particulier. Le procédé de la caméra épaule est utilisé du début à la fin du film, donnant à celui-ci une facture très réaliste et sobre. Presque aucune musique n’est utilisée, et les plans peuvent souvent durer de très longues minutes. Tous ces procédés donnent réellement l’impression au spectateur d’être en compagnie de Rosetta, de vivre tout ce qu’elle vit, quand elle vit quelque chose.
La vie de Rosetta, étrangement, est le principal défaut du film. En effet, la période de son existence qui nous est révélée dans le film est très confuse, ce qui est normal. Malheureusement, aucune explication ne nous est révélée par-rapport au passé de la jeune femme, ce qui aurait été très intéressant dans le contexte. Le spectateur se posera des questions auxquelles il n’obtiendra jamais de réponse. Mais ce défaut peut aussi être perçu comme une grande qualité, en ce sens où Rosetta n’est pas un film d’intrigue, mais bien une expérience introspective et personnelle. On pardonne donc aux frères Dardenne ce petit bémol qu’est l’intrigue générale du film.
Rosetta, lors de sa sortie en 1999, n’est pas passé inaperçu. Gagnant de la Palme D’Or ainsi que du prix de la meilleure actrice (pour l’excellente Émilie Dequenne) au festival de Cannes, ce film fort peu conventionnel a beaucoup fait jaser. Les cinéphiles qui préfèrent l’intrigue à la réalisation ne seront peut-être pas charmés par cette production, mais Rosetta impressionnera certainement par son scénario simple, mais efficace, ses dialogues rares, mais précis, et sa réalisation très différente de ce à quoi nous sommes habitués.
Un film à voir, ne serait-ce que pour vous familiariser à un tout autre type de cinéma.
Aucun commentaire