Les films inspirés d’un jeu n’ont pas toujours fait l’unanimité. On a qu’à penser à Jumanji qui a égayé mon enfance ou à Battleship qui l’a tout simplement détruite. Faire un film autour du jeu Roche Papier Ciseaux? Pourquoi pas! Le Québécois Yan Lanouette Turgeon a décidé de travailler autour de ces trois objets pour en faire son tout premier film. Le projet qu’il chérit depuis plus de 7 ans dépeint trois personnages dont le destin devra se croiser et dont le sort finira entre leurs mains. Roche Papier Ciseaux s’avère un projet, pleinement ambitieux, qui se veut poignant et inspiré.
Papier
Lorenzo est un vieil Italien à la retraite qui ne vit que sur ses minces économies et sur l’amour de sa femme qui s’efface plus la maladie progresse. Son rêve : L’Italie pour une dernière fois avec sa douce. Cherchant de poubelle en poubelle, la chance lui tombera un jour sur la tête. Muffin, un jeune mafioso chinois l’invite pour un grand coup qui lui promet beaucoup d’argent. Lorenzo est interprété par Remo Girone. Offrant une performance remarquable, l’acteur italien étonne par sa justesse et son jeu nuancé. Il est sans aucun doute le personnage le plus attachant et le plus développé de l’histoire. Il apporte aussi une belle couleur à cette œuvre.
Je reste volontairement flou au sujet du scénario. L’appréciation du film va énormément de pair avec le dévoilement de l’intrigue lors du visionnement. Disons seulement que ces trois personnages ont leur destin étroitement lié. Le scénario jouit d’une trame narrative et d’une atmosphère lourde qui n’a rien à envier aux thrillers américains. Le récit réussi habilement à cultiver son mystère du début à la fin et le mélange de drame et de western spaghetti, aussi ambitieux soit-il (au Québec), épate par sa complexité narrative. L’histoire se veut intrigante et quelques scènes mémorables viennent ponctuer le récit. Malheureusement, les dialogues ne semblent pas être l’une des grandes forces de Yan Lanouette Turgeon et d’André Gulluni. Les dialogues sont souvent très simples, trop même, et peut-être trop réalistes. Même s’ils servent bien le récit, ils détonent et ne reflètent pas la qualité générale du récit.
Roche
Boucane est un jeune autochtone qui quitte sa réserve dans le but de changer d’air et de vie. En direction de Montréal, il croisera Normand, un homme aux allures de « mononcle », un peu pince-sans-rire, un peu sérieux. Il demandera à Boucane de conduire vers Montréal un camion, qui contient une cargaison suspecte. Lorsque le travail sera fait, une compensation monétaire sera faite. Il tournera alors le dos à son passé lourd tout en s’offrant un billet vers une nouvelle vie. Boucane est interprété par Samian, qui s’offre son premier rôle au cinéma. Bien que très similaire à Boucane, Samian joue avec aisance et crédibilité ce personnage dont le destin sera changé à jamais.
Le choix des acteurs s’avère judicieux. Composé en partie d’acteurs méconnus, le film se veut plus engageant et donc moins près d’un drame québécois conventionnel. Les trois acteurs principaux sont tous excellents, mais les véritables surprises sont Remo Girone et Roger Léger. Il est étonnant de voir Roger Léger dans le rôle de Normand, ce dur à cuire et homme de main inébranlable (ou presque). Son personnage apporte d’ailleurs une certaine légèreté humoristique qui rappelle certains méchants de l’univers de Tarantino. Le reste de la distribution est aussi particulièrement convaincante offrant un divertissement d’exception.
Ciseaux
Vincent est un ancien-médecin qui œuvre maintenant pour la pègre chinoise. Entre son couple qui bat de l’aile et son nouvel enfant qu’il attend, il sera déchiré par ses dettes envers cette organisation criminelle. Il tentera alors de s’affranchir de tout ce poids qui lui pèse et ainsi vivre sa petite vie tranquille avec sa famille. Vincent est interprété par Roy Dupuis. Malgré un personnage plus ou moins défini, Roy Dupuis brille une fois de plus par son interprétation sensible et tourmentée.
L’univers de Tarantino semble avoir été l’inspiration de tout le projet. Notamment au niveau de la réalisation, Yan Lanouette Turgeon créé plusieurs scènes qui rappellent l’œuvre du célèbre réalisateur (Vue subjective du coffre arrière d’une voiture, la scène de torture, etc.). La plupart des plans sont inspirés et sont extrêmement maitrisés considérant qu’il s’agit de son premier essai. Le montage est d’autant plus efficace, particulièrement à cette scène presque insoutenable où Lorenzo doit participer à ce jeu sordide organisé par Muffin. L’excellente bande sonore de Ramachandra Borcar est aussi sans rappeler les pièces d’Ennio Morricone prisé par Quentin Tarantino. Les autres pièces de Borcar, vacillant entre classique et musique d’ambiance, sont épatantes et demeurent l’une des grandes forces de Roche Papier Ciseaux.
On aime et l’on souhaite voir davange de créateurs inspirés prendre des risques et nous offrir ces films qui changent le paysage du cinéma québécois. La première proposition de Yan Lanouette Turgeon épate par son audace, sa réalisation impeccable et par son histoire intrigante et divertissante. Roche Papier Ciseaux n’est que l’allumette qui alluma le feu d’un créateur inspiré dont on suivra de très près le destin de ses prochaines productions.
(2013) Réalisé par Yan Lanouette Turgeon
Avec Roy Dupuis, Samian, Remo Girone, Roger Léger et Frédéric Chau
Crédit photo : Facebook Roche Papier Ciseau
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