Prologue
Il y a de ces films que l’on aime sans trop savoir pourquoi. Des productions où l’histoire n’est pas si intéressante, où les acteurs sont talentueux, mais sans plus, et où la réalisation est ambitieuse, mais pas impeccable. Pourtant, ces œuvres nous transportent vers des zones émotives très rarement éveillées par le cinéma. C’est cette nouveauté qui donne un charme particulier à plusieurs films avant-gardistes. Des œuvres comme Dogville.
1. Où le film est présenté
Dogville, de Lars Von Trier, entre totalement dans la catégorie des «Mais qu’est-ce que je suis en train de regarder, dites-moi!». Ce film est le premier d’une trilogie imaginée par le réalisateur, projet qui est toujours en production au moment d’écrire ces lignes. Le deuxième volet de la trilogie, Manderlay, a eu un succès beaucoup moins grand que son prédécesseur, notamment en raison de sa trop grande ressemblance avec le film d’origine. En effet, l’intérêt de Dogville n’est pas pour son fond, mais bien pour sa forme, et la suite de ce film ne semblait pas nécessaire pour la majorité des cinéphiles.
Bon. Assez parlé d’une trilogie qui ne finira jamais. Plongeons-nous dans cette œuvre qu’est Dogville.
2. Où l’histoire est résumée d’une manière très classique
L’intrigue de Dogville est volontairement très simple. En effet, Lars Von Trier, pendant la création de son film, a préféré laisser une plus grande place à sa réalisation qu’à son intrigue. Un choix pour le moins étrange, mais qui, au final, se révèle judicieux.
Les spectateurs seront donc invités à rencontrer Grace (Nicole Kidman), une jeune femme qui est en cavale. On ne sait pas qui elle fuit, ni pourquoi elle se sauve. Toujours est-il que Grace, dans sa course, se retrouve dans le petit village montagnard de Dogville. C’est là qu’elle fera la rencontre inopinée de Tom (Paul Bettany), un habitant du village qui tentera aussitôt de lui venir en aide. Avec l’aide de Tom, et bientôt de tous les habitants de la petite bourgade, Grace tentera de se cacher dans le village afin d’échapper à ses mystérieux adversaires.
Bien entendu, ce ne sont pas tous les habitants du village qui sont d’accord avec le plan de Tom et Grace. Certains tenteront de révéler le secret du village au grand jour, faisant de Grace une cible bien plus facile qu’elle ne le pense.
3. Où les chapitres de ma critique prennent (enfin) un sens
Vous vous demandez peut-être pourquoi, depuis le début de cette critique, la forme des chapitres (et du prologue) est utilisée. Non, je n’exprime pas ici ma frustration due à mon incapacité à écrire un roman. En fait, tout comme ce texte, Dogville est constitué de rien de moins que neuf chapitres précédés d’un prologue. De plus, le titre de chaque chapitre représente le contenu de ce dit chapitre. Quelques surprises vous seront donc révélées par les titres, mais jamais directement. Cette forme, bien souvent utilisée par Lars Von Trier, donne à son œuvre une direction très littéraire qui sera abordée au cours des chapitres suivants. J’aime bien vous garder en haleine.
4. Où le décor n’est pas très dispendieux
Depuis le début de ce texte, je parle de Dogville qui, malgré une intrigue assez pauvre, demeure un chef d’œuvre d’originalité. Le moment est venu de vous révéler la raison de cet enthousiasme.
Lars Von Trier, en réalisant Dogville, a tenté de démontrer une communion entre la littérature et le cinéma. C’est donc pour cette raison qu’est née l’idée d’éliminer toute forme de décor dans le film. Ainsi, le seul élément de décor que vous verrez durant les quelque trois heures que dure le film est un studio de cinéma complètement noir. Aucun paysage, aucune maison, rien. Les différents lieux sont identifiés comme tels grâce à des indications placées sur le sol (semblables à une carte en vol d’oiseau). Par exemple, le ruisseau sera représenté par deux lignes blanches parallèles positionnées près du mot «ruisseau». Ingénieux de simplicité.
Bien sur, pour ne pas endormir et confondre tous les spectateurs, quelques petits éléments de décor plus importants sont tout de même placés au milieu de la pièce. Ainsi, l’église disposera de son clocher (qui tient dans le vide), la maison de l’écrivain aura son bureau. Ces rares meubles et objets renforcent d’ailleurs l’idée de Lars Von Trier de faire de Dogville un film très littéraire. En effet, lorsqu’on lit un livre, on imagine uniquement l’essentiel : les personnages et quelques meubles. C’est tout ce que nous pourrons voir dans Dogville.
5. Où le voyeurisme est à son meilleur
Les caractéristiques visuelles propres à Dogville font du film un véritable paradis pour les voyeurs. En effet, puisque toutes les maisons du village sont pratiquement invisibles, les habitants sont constamment visibles pour le spectateur. Ainsi, pendant une scène qui se déroule par exemple dans la salle communautaire, il est possible de voir ce que fait Mme la boulangère, trois maisons plus loin. Cet élément, en plus d’apporter une touche très réaliste au récit, peut aussi créer certains malaises à quelques moments précis du film.
Attention, ici, je m’apprête à révéler quelques surprises. Passez au numéro 6 si vous tenez à ne rien savoir. Grace, en se cachant dans le village de Dogville, ne sera pas aimée de tous. Ainsi, certains membres du village la feront chanter afin d’exercer leur domination sur la jeune fille. Cette manipulation donnera place à quelques scènes de viol, qui, dans la mesure où les murs de la pièce sont pratiquement invisibles, semblent se dérouler à quelques mètres de l’endroit où une vieille dame lit tranquillement un livre. Ce sentiment de proximité apporte un énorme malaise. Très intéressant.
6. Où le village compte un habitant de plus
Tous les éléments mis en place par Lars Von Trier dans Dogville font du spectateur un membre à part entière du village. En effet, avec son montage très saccadé et son grand nombre de faux raccords, l’impression visuelle est celle que l’on pourrait avoir si on se promenait parmi les habitants du village.
La caméra, toujours en mouvement, renforce aussi cette idée de proximité avec les personnages. On imagine très facilement le caméraman tourner en rond autour des comédiens, comme s’il se prenait pour un villageois à part entière.
7. Où Dogville se veut très littéraire
Dogville, avec tous les éléments mentionnés plus haut, se veut donc un roman mis sous forme d’un film. Tous les éléments, qu’ils soient visuels ou intellectuels, tendent dans cette direction. En plus d’avoir des décors très minimalistes, une réalisation et un montage très saccadés, le film possède une narration quasi-constante qui rappelle automatiquement la lecture d’un roman. Toutes les actions, tous les gestes des personnages sont motivés par leurs désirs et leurs envies que le narrateur nous explique au fur et à mesure.
Cette pratique est très intéressante. Malheureusement, elle enlève toute forme de sous-texte. Les cinéphiles aimant décortiquer les bons dialogues seront très déçus, car le style littéraire utilisé dans Dogville oblige des répliques très simples et explicatives.
8. Où les acteurs sont jugés
Vraiment, il n’y a rien a dire de très disgracieux à propos de la distribution de Dogville, tant celle-ci est sobre. Oui, on compte quelques grands noms comme Nicole Kidman, mais la plupart des comédiens sont moins connus. Leur jeu est très mécanique, voire mauvais par moments, mais il est clair que Lars Von Trier ne voulait pas que la performance des comédiens prenne le dessus sur le style de l’œuvre. C’est donc un jeu général facile à oublier tout simplement parce que là n’est pas l’intérêt du film.
9. Où Dogville est un chien méchant
Même si je tiens Lars Von Trier en haute estime, son film Dogville n’est quand même pas parfait. Le réalisateur a innové grâce à son style encore jamais vu et ses idées très avant-gardistes. Malheureusement, le défaut majeur du film, sa longueur (on a droit à une production de trois heures, tout de même), pourra rebuter les spectateurs moins chevronnés. Le ton très monotone et les répétitions très fréquentes pourra être endormant, d’autant plus que le jeu des acteurs se veut très simpliste et fort peu réaliste (le style l’oblige, mais trois heures robotiques, c’est plutôt long).
Finalement, Dogville est un peu comme cette critique : très intéressant dans sa forme et son contenu, mais beaucoup trop long. Pour cinéphiles avertis.
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