En 1986, alors que le pouls du nouvel Hollywood, un mouvement cinématographique qui s’éloigne des idéologies originellement prônées par les géants du cinéma hollywoodien, se fait sentir, David Lynch s’empare des écrans et y présente Blue Velvet, pour lequel la critique se met en rogne et le piétine. À l’époque, le film est considéré de malsain, voire même néfaste. «Oh, mais enfin, nous sommes en 2013. Ça peut pas être bien méchant», me direz-vous avec cet air un peu surpris. Eh bien, croyez-moi ou non, mais bien que l’eau ait coulé sous les ponts depuis, il n’en reste pas moins que ce long métrage, encore aujourd’hui, sait provoquer le spectateur et l’envoyer dans un monde où il n’est pas invité… Ça vous dit?
Jeffrey Beaumont est un adolescent comme il y en a tant d’autres. Il est solitaire, c’est vrai, mais il n’en fait pas de cas. Lors d’une de ses promenades, voilà qu’il trouve dans un champ près de chez lui quelque chose qui n’y avait pas sa place: une oreille humaine. Sally, la jeune et jolie blonde qui lui est tombée dans l’oeil, lui fait alors remarquer que le bout de chair pourrait bien appartenir à un des locataires du bloc appartement se trouvant tout près de l’endroit. Et voilà! Ça vient à peine de commencer et c’est déjà trop tard: à ce moment, c’est fatal. Pour Jeffrey, pour nous, pour Lynch, pour tout le monde. Car, dans ce bloc appartement, vit Dorothy Vallens. Et qui dit Dorothy, dit voyeurisme.
Voyeurisme. Voyeurisme sur tous les plans. Sur la pellicule mais dans la vraie vie aussi. Parce que, voyez-vous, Blue Velvet, ce n’est pas qu’un simple film comme il s’en est fait un tas et comme il s’en fera toujours. C’est une rencontre. Une rencontre avec des anti-héros, mais surtout, avec le cinéma. Parce que le voyeurisme, dans ce film, ne s’exprime pas seulement par l’histoire elle-même. Il s’exprime partout et vous n’avez aucun moyen de vous en sauver. Alors que Jeffrey, stupidement caché dans le garde-robe de Dorothy, chanteuse jazz en vogue et vedette du Slow Club, la regarde se mettre nue et découvre alors un monde de sexualité, le spectateur, lui, est caché dans les coulisses du septième art et des obligations qu’il porte. Vous êtes pris au piège, littéralement, et il n’y a aucun moyen de vous en sortir. À moins, bien sûr, d’appuyer sur le bouton stop de votre télécommande. Mais les cinéphiles sont braves. Vous êtes brave, pas vrai? Vous n’oserez pas interrompre Blue Velvet. Croyez-moi.
Le monde de Lynch, c’est travaillé. C’est liché, pensé et façonné. Sur le plan visuel, ce sont deux univers qui sont mis en scène et qui se confrontent. Celui du bien, et celui du mal. Celui de la blonde, celui de la brune. Celui du monde étudiant, et celui, sombre, de la découverte sexuelle et interdite. Le tout, dans un univers sonore trop bruyant, trop présent, trop désagréable mais désiré de la sorte.
Le réalisateur plonge son spectateur dans l’effroi. Le but est de l’entrainer, subtilement et par différents glissements toujours plus osés les uns que les autres, dans cet endroit qu’il ne veut pas arpenter, cet endroit où se mêlent crapules, prostituées, drogués et chanteuses. Et le tout, question de se faire rassurant, est accompagné de la voix de cette chanteuse désolée, cette chanteuse triste du Slow Club qui camoufle sa douleur sous les notes de sa chanson préférée: Blue Velvet.
«She wore blue velvet, bluer than velvet was the night. Softer than satin was the light from the stars…»
Aucun commentaire