L’affiche d’Anna, avec un fond rouge écarlate et la silhouette noire du personnage principal, évoque celle de l’acclamé Incendies. Les comparaisons ne s’arrêtent pas à cet aspect promotionnel. Pour son cinquième long-métrage, Charles-Olivier Michaud, réalisateur de la comédie Boomerang présentement diffusée sur les ondes de TVA, n’y va pas dans la dentelle. À l’instar de Denis Villeneuve, il explore avec une déstabilisante férocité une réalité injuste hélas peu médiatisée.
Photojournaliste, Anna Michaud (Anna Mouglalis) se rend à Bangkok afin de récolter des témoignages de jeunes femmes victimes de trafic humain par les Triades asiatiques. Anna ne recule devant rien pour étaler la vérité au grand jour. Inévitablement, elle franchit les limites et se fait kidnapper, séquestrer et violenter à son tour. À son retour à Montréal, elle peut compter sur l’aide de sa collègue et bonne amie Sophie (Pascale Bussières) et sur celle de Sam (Pierre-Yves Cardinal), un fixeur qu’elle a rencontré en Asie.
Certains faits donnent l’impression que l’histoire relatée s’avère vraie: l’actrice qui porte le même prénom que l’héroïne qui, elle, a pour nom de famille celui du réalisateur… Ces coïncidences peuvent être interprétées de plusieurs manières. Quel que ce soit les véritables motifs, ces éléments symbolisent le profond engagement des artisans dans le récit. Une façon de s’immiscer brutalement dans une problématique méconnue, et de contribuer à sensibiliser un public désinformé et dérouté.
En effet, en visionnant Anna, les spectateurs s’exposent à une prise de conscience bouleversante. Michaud rentre dans le vif de son sujet avec une grogne et une intensité qui ne dérougiront pas pendant les 109 minutes de ce voyage éreintant. Charles-Olivier Michaud confère à son œuvre un réalisme insoutenable. Le réalisateur jongle habilement avec subjectivité et voyeurisme, sans verser dans le sensationnalisme. Les scènes où la caméra ne capte pas les sévices, laissant ainsi le champ libre aux cris stridents de nous tordre le cœur, provoquent autant sinon plus de malaises que celles où les viols sont montrés explicitement. On a envie de constamment détourner le regard. Les longs et pesants silences nous plongent dans un état d’inconfort, et c’est exactement le but du film.
Le film comporte quelques ruptures de ton qui exigent bien de la patience de la part du public. On nage constamment entre le style documentaire et la violence fictive à la 7 jours du talion sans une once de cohérence. En ce sens, l’acte de vengeance qui clôt le récit, quoique compréhensible, sème la confusion. Si les lenteurs dans l’exécution des intrigues sont justifiées par l’état d’esprit du personnage principal, les ficelles sous-exploitées du scénario et le déroulement trop nébuleux sont plus difficiles à pardonner.
En revanche, les acteurs livrent des performances saisissantes. Pascale Bussières et Pierre-Yves Cardinal donnent vie avec inspiration et intensité à des personnages secondaires qui auraient mérité des personnalités plus étoffées. Évidemment, c’est la prestation d’Anna Mouglalis qui vaut le détour. Elle incarne avec rage et authenticité les sentiments contradictoires d’Anna, ce palindrome en détresse incapable de trouver des repères. Elle a beau tourner les événements de tous les côtés, elle a perdu son identité, sa soif de justice. Mouglalis campe ce vide avec un dévouement hypnotisant.
Malgré des incohérences scénaristiques, Anna choque, bouleverse et marque l’imaginaire grâce à la performance absolument ahurissante d’Anna Mouglalis.
Ce film est à l’affiche depuis le 23 octobre 2015.
Crédits Photos : Les Films Séville