Un professeur de cinéma m’a dit un jour, de sa voix pleine de sagesse (et de café, il était tout de même 9h00 du matin) : «Un bon film se voit entres autres par sa capacité de communiquer l’intrigue, les émotions et tous les degrés de compréhension sans utiliser de paroles. Cet enseignant, qui visiblement n’aimait ni Tarantino, ni l’ensemble des séries télévisées, adore surement le concept du réalisateur Ukrainien Miroslav Slaboshpitsky dans son dernier long métrage, The Tribe (originalement Plemya).
Dans le film, bien que les protagonistes aient plusieurs conversations entre eux, Slaboshpitsky (c’est la dernière fois que j’écris son nom, sincèrement, ça me prend bien trop d’énergie) pousse la barre à l’extrême : En effet, comme la majorité des personnages sont sourds-muets, le film sera complètement silencieux. Seul le langage des signes sera utilisé du début à la fin de l’œuvre. Résultat : Le spectateur se sentira pratiquement aussi handicapé que les personnages, puisqu’ils auront de la difficulté à suivre les conversations.

Une vingtaine de figurants sourds-muets qui parlent entre eux, ça donne beaucoup de mouvement à l’écran.
Abordant un sujet plutôt lourd (un nouvel étudiant dans une institution privée pour les personnes sourdes et muettes entrera aussitôt dans une bande de crime organisé prônant prostitution, vol, violence… Un genre d’Orange Mécanique d’enfants, finalement), The Tribe est notable par ses nombreuses scènes où le malaise est accentué par l’absence de paroles prononcées par les personnages. Certaines situations, déjà particulièrement choquantes (bravo à la réalisation extrêmement intimiste de M. Slabo (…) qui, par peu de moyens techniques, nous immerge dans un milieu lourd et violent sans y ajouter de fioritures inutiles), semblent plus pénibles encore puisque les personnages, muets, n’ont aucune manière de crier pour se sortir du pétrin.
Un film avec un concept aussi unique et intéressant aurait très bien pu souffrir d’une intrigue moins soutenue, mise à un niveau inférieur. Ce n’est heureusement pas le cas du scénario de The Tribe qui, bien qu’il débute d’une forme plutôt classique (un nouvel élève se fait intimider et devient un bad boy digne de Grease pour faire bonne figure devant la belle du groupe), dérogera bien vite aux conventions en exposant au spectateur des réalités bien choquantes, bien originales, dans une intrigue qui prendra bien vite des formes différentes à ce qui semblait convenu au départ. Certaines scènes, étrangement, auraient pu bien passer avec une conception sonore dite conventionnelle, mais l’absence de bruitage rend celles-ci beaucoup plus éprouvantes à visionner. Tant mieux.
Attention cependant aux cinéphiles moins avertis : Tel que mentionné plus tôt, aucun sous-titre n’est disponible, et rien ne vous laissera deviner les propos des personnages. Le but est bien sur de permettre au film d’être vu partout à-travers le monde. Les gens connaissant le langage des signes auront un net avantage sur les autres spectateurs, puisqu’ils comprendront les détails de l’intrigue. Cependant, l’expérience résultante est plutôt intéressante, puisque même un public ne connaissant pas les signes se surprendra à très bien comprendre l’ensemble de l’intrigue… Signe que la réalisation couvre adéquatement le scénario.
Autre prouesse technique intéressante : L’ensemble de The Tribe ne comprend que 34 plans. C’est donc par une suite de plans séquences particulièrement ingénieux (on pourrait presque parler ici de tableaux) que nous évolueront au-travers du parcours dangereux des personnages… L’esthétique finale donne une ambiance très épurée, semblable aux murs de l’école, qui sont dépourvus de toute décoration. Un film terne, sombre, sans vie… Qui nous fait sentir très seuls durant les 2 heures 20 nécessaires à l’écoute. Une expérience immersive plutôt unique pour le spectateur.
The Tribe est donc une œuvre non-négligeable. Oscillant entre le film de fiction et l’expérience cinématographique, il en fera voir de toutes les couleurs (à défaut d’utiliser l’ouïe et la parole, la vue sera sollicitée). Et prenez garde : Derrière son aspect épuré et lent se cachent plusieurs scènes qui vous dérangeront, d’une manière toute spéciale, puisque comme les personnages sourds-muets, vous ne pourrez rien faire pour les aider.
Cette expérience interprétée uniquement par des acteurs handicapés inscrit donc Miroslav Slaboshpitsky (oui, j’ai copicollé) dans la liste des réalisateurs à surveiller. Une chose est sûre : The Tribe vous laissera sans mots.
Pour les curieux, la bande-annonce est ici:
https://www.youtube.com/watch?v=ZF9VL4m9M_k