Au lendemain du 11 Septembre 2001, une vague de paranoïa frappait les États-Unis, affaiblis et effrayés, voyant la menace partout autour d’eux. La grogne et le patriotisme américains, transparaissant dans leurs agissements et même jusqu’à leur culture, à leur culture, n’a dès lors jamais cessé, et il est rare de voir un film signé U.S.A qui retrace des événements reliés au conflit avec Al Qaeda de manière juste et critique. Pourtant, l’intervention américaine n’a pas toujours été exempte de secrets et d’épisodes moins glorieux, à l’étranger, mais aussi au sein même de la contrée de l’Oncle Sam. The Mauritanian, drame de Kevin Macdonald produit par la BBC, met en lumière plusieurs aspects troublants de l’histoire américaine, dans un film imparfait, mais extrêmement pertinent.
Quelques mois après la tristement célèbre attaque à New York, l’armée Américaine est à la recherche de tous les individus reliés de près ou de loin à Ben Laden, Al Qaeda, et les recherches et accusations font foison. C’est dans un petit village de la Mauritanie, au Nord-Ouest de l’Afrique, que l’intrigue débute. Mohamedou Ould Slahi (Tahar Rahim), un homme qu’on comprend bien impliqué et investi dans les affaires de son village, est rapidement amené et questionné par l’armée américaine pour des raisons que l’on ne comprend pas trop encore. Il sera vite séparé des siens – et de sa ville, et de son pays – pour être amené directement à Guantanamo, où on lui fera subir un traitement de luxe. C’est que le jeune homme est accusé d’avoir commandité l’attaque aérienne de New York, sous prétexte qu’il a été entraîné par Al Qaeda durant quelques mois de son passé militaire.
Dans la prison, Slahi rencontrera vite les intervenants américains qui l’accompagneront durant son séjour ; Nancy Hollander et Teri Duncan (respectivement Jodie Foster et Shailene Woodley), deux avocates envoyées par le gouvernement afin d’accumuler assez de preuves pour lui constituer une défense valide. Le travail des dames n’est pas tâche facile, puisqu’elles seront rapidement confrontées aux instances gouvernementales, prêtes à tout pour faire de Slahi un coupable. C’est que concrètement, le gouvernement américain ne semble avoir aucune preuve tangible contre le mauritanien, et c’est de procédures louches à interrogatoires injustes qu’on comprendra le traitement horrible que doit subir Slahi, qui tente tant bien que mal de se dédouaner de crimes qu’il ne semble pas avoir commis.
The Mauritanian raconte donc cette difficile, mais malheureusement commune histoire où un homme est pratiquement pris au hasard sous des prétextes flous afin d’en faire un coupable dans une situation où il n’a plus de contrôle sur rien. Les scènes se déroulant à Guantanamo, sans doute les plus réussies du film, représentent très bien la situation de confusion, de perte d’identité et de dignité, à laquelle est confrontée Slahi durant son séjour. Vite, on lui attribue un numéro, on le coupe de toute communication (sauf celles qu’il entretiendra avec des gardes rustres et cruels ou les deux avocates qui ne semblent pourtant pas lui venir en aide). Ces moments du film sont difficiles, la tension est palpable, et la mise en scène parvient bien à nous faire ressentir cette claustrophobie et sentiment de torture, d’abord mentale, puis physique, auquel Slahi est confronté.
Le film est définitivement choquant, et certaines scènes semblent avoir été ajoutées et montées de manière à nous faire réagir. On sent parfois quelques actions ou situations qui n’auraient pas été nécessaires à l’intrigue, mais qui sont tout de même présentées pour nous faire comprendre le traitement barbare réservés aux gens incarcérés à Guantanamo. Pourtant, toutes les situations sont crédibles et doivent bien être réelles, la BBC gardant tout de même un œil alerte au scénario et produit final. C’est d’ailleurs la proximité et la rigueur scénaristique qui fait toute la force, mais également la faiblesse du film.
Le spectateur sent qu’il peut croire à tout ce qui lui est raconté, puisque toutes les répliques semblent amener des informations factuelles, documentées et crédibles. En ce sens, on assiste à une sorte de documentaire, et l’intrigue abracadabrante qui nous est présentée n’en est que plus choquante. C’est malheureusement aux dépens de l’émotion et de la qualité scénaristique, qui font défaut tout au long de l’œuvre. Le moindre personnage, même s’il n’est là qu’une scène, prendra le plus clair de son temps à expliquer sa fonction, sa raison d’être, tout en débitant quelques informations bonus sur le lieu où les personnages se trouvent et son intérêt à la société américaine. Tous les personnages ont leur mot à dire, si bien qu’on ne sait plus réellement où donner de la tête, et quel enjeu est-il le plus important. On sent qu’on aurait pu faire un film traitant de tous ces personnages, mais on n’est pas parvenus à faire un choix.
Le genre de film auquel appartient The Mauritanian nous a déjà habitués à un scénario verbomoteur qui accumule les informations et les dialogues. C’est le cas de l’œuvre d’Aaron Sorkin, qui nous a livrés récemment le relativement similaire Trial of the Chicago 7, pour n’en nommer qu’un. Dans ce cas-ci, une histoire tout aussi réelle nous est racontée avec autant de factualité, mais on parvient tout de même à trouver des moments où la tension dramatique est relâchée, où on peut respirer. Ce n’est pas le cas avec The Mauritanian, qui nous amène dans une spirale de drame et de lourdeur parfois un brin trop mélodramatique, sans jamais laisser place à autre chose qu’un ton sérieux et solennel dans le cas des personnages américains (surtout dans le cas du Marine Stuart Couch (Benedict Cumberbatch)) ou des scènes angoissantes en prison avec Slahi. Le thème du film est évidemment d’une grande lourdeur et il aurait été malvenu d’en faire une comédie de situation, mais le rythme du film perd en efficacité, surtout que celui-ci est servi par un montage souvent douteux et une direction de la photographie assez beige, qui rendent un peu moins sexy tous les efforts de l’équipe pour en faire un grand film.
Le fait est que The Mauritanian a tout pour créer une œuvre marquante. Une histoire vraie sordide, antipatriotique, qui fera réagir; une distribution impeccable et des performances impressionnantes, surtout dans le cas de Foster et Rahim; l’apport de la BBC, qui assure une crédibilité à l’ensemble. Mais toute cette ambition ne manque qu’un peu de raffinement, le rythme s’étire et les défauts techniques font souvent dévier du propos initial. Malgré tout, The Mauritanian en vaut l’écoute, ne serait-ce que pour en apprendre plus sur les nombreux débordements américains après le 11 Septembre et les injustices vécues par les prisonniers de Guantanamo. Mais sinon, la qualité réelle du film est probablement en-deçà de ses nobles ambitions.
L'intrigue et le propos de The Mauritanian, tous également pertinents et nécessaires, sont servis par une distribution de haute qualité et une documentation féroce, mais crédible, qui compensent une mise en scène, direction photo et montage parfois chancelants.