Imaginez le scénario bien connu de Roméo et Juliette: deux êtres follement amoureux l’un de l’autre, que rien ne peut séparer sinon les limites imposées par leurs familles respectives. On n’a pas à être fin connaisseur de l’œuvre de Shakespeare pour bien l’apprécier, puisque cette histoire classique a été refaite à toutes les sauces, dans plusieurs contextes différents, parfois réussies, d’autre non. Cette fois-ci, nous vous proposons une variation sur un même thème, puisque l’histoire d’amour conflictuelle se déroulera au plein cœur d’une île du Pacifique, habitée par la tribu Yakel, groupe indigène refusant l’industrialisation, vivant d’amour et d’eau fraîche (et probablement de coups de soleil).
Ce sont les réalisateurs Martin Butler et Bentley Dean (ayant déjà collaboré pour le documentaire Australien First Footprints) qui prendront les rênes de ce projet ma foi ambitieux, celui de s’infiltrer au cœur de la tribu Yakel et d’en raconter une partie de leur histoire. Car bien que la réalité soit probablement légèrement différente de ce qu’on nous laisse croire dans Tanna, le projet initial fût de réaliser un film sans acteur professionnel, en s’inspirant d’une histoire réelle vécue par la tribu.
Ce synopsis, tel que mentionné plus tôt, n’a rien de très original, mais il tient la route: La jeune Wawa, amoureuse du brave Dain, devra lutter contre les ordres de sa tribu qui désire qu’elle se marie plutôt avec un garçon d’une tribu ennemie, afin de sceller un traité de paix. Toute juste sortie des cérémonies faisant d’elle une femme, elle devra lutter entre son amour grandissant, son désir de liberté et celui de faire bonne figure pour la tribu qui la protège. Cette histoire qui ferait même pleurer Nicholas Sparks se tient bien entendu dans un paysage tropical au centre duquel règne un énorme volcan, symbole de la chaleur et de la puissance incandescente de l’amour régnant entre les individus.
Le résultat est impressionnant. Mungau Dain et Marie Wawa, interprétant les amoureux éponymes, sont tous extrêmement convaincants, et bien que leur jeu et leur aisance devant la caméra n’ait rien à voir avec ceux d’acteurs professionnels, leur abandon et leur amour du projet se fait très bien sentir, et on pardonnera vite quelques maladresses, autant au niveau du jeu que de la réalisation. Les conditions de tournage étant exceptionnelles, il n’est pas exclu que le langage cinématographique n’ait pas été la priorité lors du tournage, et malheureusement, on le ressent quelque peu à l’écoute du film. Loin de se contenter de tourner selon les règles de la fiction conventionnelle, les réalisateurs ont préféré emprunter des acquis du documentaire: ainsi, au lieu de concentrer leurs énergies sur le scénario et l’évolution du récit, on passe plusieurs minutes à explorer en détail les moindres rites et coutumes de la tribu, laissant ainsi l’histoire de côté.
Le résultat est bien intéressant, puisqu’une certaine confiance s’installe entre la réalisation et le spectateur. On nous laissera vraiment avec le sentiment d’avoir appris sur les coutumes de la tribu reculée: comment vivent-ils la mort, la religion, l’amour… L’intrigue en elle-même, qui n’est absolument pas notable, sert davantage à instituer une certaine tension, pour garder les spectateurs captifs. Malheureusement, le scénario assez pauvre et le caractère prévisible de l’ensemble du film fait paraître celui-ci comme deux fois trop long. On passera vite à côté de l’intérêt documentaire du film, en se surprenant à attendre la fin au moins une demi-heure avant qu’elle n’arrive enfin. Celle-ci, extrêmement abrupte (on coupe une image en plein mouvement dans un freeze frame dont on se souviendra longtemps!), nous laisse avec un goût amer, mais nous rappelle également de quel type de film il s’agit. Car effectivement, Tanna assume très bien son côté non-professionnel, indépendant, et très intime. Les erreurs qui, à priori, font grincer des dents, se pardonnent très bien lorsque l’on se prend à imaginer la petite équipe de tournage au cœur d’une tribu vivant une réalité complètement différente de la nôtre.
Ce constat, cette distance entre nous et les personnages du film, font l’intérêt de l’œuvre. Il ne faut pas regarder Tanna dans l’espoir d’être surpris, tenus en haleine, ou de voir une réinvention de la forme. Il s’agit d’un film qui s’en tire très bien malgré le scénario manquant d’originalité, et la direction photo rafraîchissante et la culture colorée de cette île paradisiaque du Pacifique camoufle bien les autres maladresses.
Étrangement, même si son scénario, le jeu de ses acteurs et sa réalisation n'ont rien de novateur, Tanna réussit à se définir comme un film unique. Intéressant davantage pour ce qu'on en retire que pour le divertissement qu'il procure!