L’homme inconscient se réveille, encore perdu dans le brouillard de ses pensées, à l’intérieur d’une voiture vide. Dehors, le temps semble arrêté. Comme seul décor, des maisons vides. Ainsi qu’une équipe technique de cinéma qui le regarde, derrière l’œil d’une caméra. Son étonnement est de courte durée, puisqu’il tombe inconscient et revient, quelques secondes plus tard, dans la même automobile. Toujours dans le même plan, le personnage ressort du véhicule et vit les mêmes actions. Cependant, cette fois, nous sommes situés du côté de l’équipe technique. C’est un film, c’est une sorte de bête lâchée dans le monde du cinéma. C’est Nonfilm, de Quentin Dupieux (connu pour Rubber et plus récemment Reality).
Dupieux (ou Mr.Oizo comme il préfère se faire appeler, autant dans sa musique que sa cinématographie) est parmi les réalisateurs de ce siècle une bête à part, difficilement imitable. Son cinéma, viscéral, n’est pas à la portée de tous, mais il n’en demeure pas moins un classique du genre surréaliste. Influencé par des grands tels que Lynch et Bunuel, il parvient à maîtriser des œuvres qui tiennent leur force du concept, de la forme et non du fond. Et Nonfilm, le premier long métrage du réalisateur, ne fait pas exception à la règle.

Pattt (Vincent Berlogey), personnage principal, alors qu’il est filmé par une équipe de tournage professionnelle.
Filmé en caméra épaule, Nonfilm tente de démontrer à l’écran la déconstruction totale du cinéma, qui tient sa force de la recréation de la réalité. Cependant, comme s’interroge Dupieux, à quel endroit se situe la réalité dans le milieu du cinéma? Lorsqu’on tente de reproduire celle-ci le plus fidèlement possible, la ligne entre la réalité et la fiction devient dangereusement étroite. C’est ce que les personnages de Nonfilm, eux-mêmes membres d’une équipe de cinéma tournant en plein désert, vivront au fur et à mesure que l’œuvre progressera, et que les différentes facettes du plateau de tournage s’effondreront.
La première barrière à tomber, c’est ce fameux quatrième mur, dans lequel le personnage ne sait pas qu’il est filmé. Après quelques minutes seulement, Pattt (eeh oui, on l’écrit comme ça), personnage principal de Nonfilm, réalise qu’il est dans un film. Après quelques minutes d’étonnement, l’indignation laisse place à l’acceptation alors que Pattt fait de ce plateau de tournage sa réalité qui lui est propre. C’est le début de la fin, alors que le décor, le scénario et même la caméra disparaissent. Les membres restants de la petite équipe techniques se retrouvent donc en plein désert, sans accessoires ni décors. Là s’insinue la réflexion de Dupieux. Les personnages/acteurs sont livrés à eux-mêmes, et c’est à eux et à leur ego de déterminer la place de la réalité.
Truffé de réflexions et de commentaires sur le milieu du cinéma et son impact sociétal, Nonfilm se veut un petit bijou pour les amateurs du genre. C’est aussi le film marquant la théorie du réalisateur, le Nonsense, selon laquelle un film n’a pas à justifier ses moindres détails (voir aussi l’œuvre Rubber pour une autre démonstration de cette philosophie).
Bien sûr, Nonfilm n’est pas un film à grand public. Puisqu’il joue avec le langage-même du cinéma, un public moins habitué aux conventions aura de la difficulté à se repérer dans le scénario de l’œuvre. Mais n’est-ce pas propre au cinéma de briser les conventions, faire réfléchir et pousser les capacités analytiques de ses spectateurs? Pour cela, Dupieux m’a charmé. Laissez-vous tenter avec ce petit film de 45 minutes disponible gratuitement (et légalement) sur Vimeo (ou en bas de cette page, pour faire plus simple!).
N’hésitez pas à donner votre avis! Le film complet est juste ici: