Avec le livre qui suscite autant de haine que de jouissance, il est facile de se délecter de l’amère déception ou s’injurier face à l’énorme succès commercial engendrés par son adaptation cinématographique hautement anticipée. En effet, il devient un peu trop prévisible de cracher sur le manque de profondeur du scénario, de se désoler de l’absence quasi totale de chimie entre les deux acteurs principaux, de remettre en question la pertinence des nombreuses scènes de sexe et s’émerveiller sur l’esthétique ultraléchée des décors. Et pourtant, Fifty shades of Grey n’offre malheureusement pas plus que ces éléments, excepté quelques élans franchement comiques.
La prémisse de base est conforme à toute comédie romantique qui se respecte. En remplacement de sa colocataire Kate Kavanagh (Eloise Mumford) qui est malade, Anastasia Steele (Dakota Johnson), étudiante en littérature anglaise, se rend dans les bureaux de la Grey Entreprises pour y interviewer le fondateur, Christian Grey (Jamie Dornan). À 27 ans, Grey est un philanthrope multimillionnaire beau comme un Dieu. Le courant passe immédiatement entre lui et Anastasia. Seulement, Christian ne cherche pas à entretenir une relation amoureuse normale. Il a des besoins particuliers. Tellement que toute fille consentant à avoir des rapports sexuels avec lui doit préalablement signer un contrat et se soumettre à des règles strictes. Est-ce que les sentiments qu’Anastasia ressent envers Christian sont assez forts pour qu’elle accepte d’apposer sa signature au bas d’une page blanche?
Qu’on soit initié ou non à la trilogie, la première demi-heure du film semble précipiter les situations afin que les deux protagonistes se rendent rapidement dans la chambre à coucher. Les premiers contacts entre Anastasia et Christian sont si forcés qu’ils manquent grandement de crédibilité. Dès le début, il est donc difficile de s’attacher et de trouver un quelconque intérêt à leur idylle. Les destinés du couple ne génèrent qu’un long ennui s’étiolant sur plus de deux heures. Le script de Kelly Marcel escamote des moments phares qui caractérisent le roman. Par exemple, le contrat que Christian veut faire signer à Anna en prend sérieusement pour son rhume. Dans le livre, Anastasia doit impérativement bien s’alimenter, faire des exercices régulièrement et consulter un docteur chaque semaine. Rien de cela dans le film. L’abstraction de ces aspects entrave la progression et la cohérence du récit. La trame narrative tourne en rond. L’intrigue majeure réside dans la réponse d’Anastasia. Une minute, elle est consentante à se faire dominer alors qu’elle ne l’est plus la minute d’après. Certes, ses hésitations demeurent plus que valables mais sur un plan scénaristique, on fait vite le tour. Cerner les véritables enjeux du contrat et comprendre les motivations de Christian deviennent des tâches périlleuses. Les brèves apparitions des membres de l’entourage de Christian et Anastasia empêchent également aux tourtereaux de sortir de leur unidimensionnalité. Heureusement, le long-métrage est ponctué de répliques mordantes qui déclenchent une franche hilarité volontaire.
Malgré les apparences, le film n’est pas purement axé sur le sadomasochisme. En analysant bien le sous-texte, on peut interpréter que les ébats passionnés, intenses et violents dissimulent la peur de s’attacher et de faire pleinement confiance à l’autre. Hélas, la réalisatrice Sam Taylor-Johnson ne traduit pas à son plein potentiel cette composante. Les scènes à caractère sexuel ne possèdent pas d’âme. Elles sont répétitives et impertinentes. Elles ne choquent uniquement. L’aspect sado est seulement exprimé par des claques sur les fesses et des coups de fouet, ces derniers devenant plus forts si Christian ressent le besoin de punir sa dominée. Ironiquement, c’est lorsque le ton se fait suggestif et doux qu’une certaine chimie opère. Le jeune couple en devenir prend alors forme avec plus de réalisme et de délicatesse. En revanche, les passages se voulant hardcore ratent complètement la cible, déclenchant plus le rire que le désir. D’ailleurs, la redondance des activités sexuelles exposées irritent plus qu’elles excitent – ce qui est clairement l’objectif principal de ce film!-. Des œuvres comme Secretary ou des productions d’HBO s’avèrent davantage scabreuses et grivoises. Bref, pour un film dont la promotion repose uniquement sur une pratique inhabituelle de jeux sexuels scandaleux, l’érotisme manque étonnamment et cruellement à l’appel. Parallèlement, l’omniprésence de la musique enlève de l’émotion et de la sensualité aux scènes au lieu d’en créer. Par contre, transposées hors de leur contexte cinématographique, les chansons d’Ellie Goulding, Annie Lennox, Beyoncé, Sia et The Weeknd sont farouchement efficaces. Néanmoins, les locations, surtout l’appartement de Christian, charment et font rêver. Dommage que l’histoire qui gravite autour ne soit pas aussi enchanteresse…
La chimie entre Dakota Johnson et Jamie Dornan ne fonctionne que lors de la meilleure scène du film, celle de la lecture du contrat. Le reste du temps, leurs échanges sont froids. On ne sent nullement que ces deux-là vont tomber amoureux. Même s’il possède la gueule de l’emploi, Dornan ne parvient à semer le mystère. Son regard n’est pas assez menaçant et dominant. Il ne donne aucunement l’impression d’être un homme contrôlant aux tendances diaboliques. Cependant, ses tendres sourires font craquer. Dakota Johnson se démarque en étant suffisamment naïve et désorientée. On s’identifie aisément à ses doutes et à son euphorie lors des promenades en hélicoptère.
Même s’il manque de rythme et d’âme, Fifty shades of Grey demeure un divertissement passable qui réussira probablement à pimenter la Saint-Valentin de plusieurs couples. Du moins, ce serait déjà cela de gagné!
Ce film est à l’affiche depuis le 13 février 2015.
Crédits Photos : Universal Pictures