En 2018, en Argentine, une femme mourait chaque semaine suites aux complications d’un avortement clandestin. C’est ainsi que plusieurs groupes féministes, militants , revendiquent depuis le droit et l’accès à un avortement légal et cliniquement sécuritaire pour les femmes du pays. Si ce projet de loi a été adopté le 14 juin 2018, puis finalement officialisé à la fin de 2020, les horreurs et la cruauté vécues par ces argentines sont trop récentes pour qu’on les oublie. Femmes d’Argentine (Que sea ley) se veut un constat choquant de la situation féministe en Argentine. On y apprend des pratiques inhumaines, des situations horribles, qu’on ne croirait pas si récentes.
Le documentaire de Juan Solanas, qu’on connaît sinon pour avoir adapté et réalisé la fiction Upside Down en 2012, traite principalement du mouvement social ayant mené à l’adoption du projet de loi pro-avortement. On y découvre les Senadores, mouvement féministe à la mise en place de différentes activités de dénonciation, notamment le symbole du mouchoir vert, se voulant un signe de ralliement pour toutes les victimes d’avortement clandestin. C’est que la situation en Argentine est catastrophique, comme nous l’apprendra le documentaire en traitant de plusieurs cas réels horribles. De par les témoignages qu’on entendra, souvent par la famille de victimes, ou par des femmes ayant elles-mêmes subi un avortement illicite, on se rend compte de la démesure et la méconnaissance professionnelle de la chose. On traitera entres autres de cette femme qui, une semaine après s’être fait avorter illégalement, développa une infection à l’utérus, et en mourut – On découvrit après sa mort que son utérus avait été bourré de persil durant l’opération, quelques jours plus tôt.
Les femmes et leurs proches, qui s’expriment dans le documentaire, ont chacun vécu l’expérience de l’avortement d’une manière différente, mais tout aussi horrible. Que ce soit par des séquelles physiques, de l’humiliation publique, ou de par la nature de leur statut social, chacune de ces femmes sent l’obligation morale de se cacher de leur opération, comme si celle-ci était honteuse. L’avortement semble avoir un statut archaïque dans la société, jusqu’à temps que celle-ci se modifie.
C’est que la société argentine est majoritairement évangélique, et la religion n’accorde pas de crédit à l’avortement, insistant sur l’acte moral et éthique de la chirurgie. Femmes d’Argentine, qui accorde tout de même une bonne place aux manifestants pro-vie (et force nous est d’admettre qu’il y en a beaucoup, et leurs marches sur la place publique n’ont rien à envier aux mouvements pro-choix). Leurs revendications, qu’ils brandissent sur leurs pancartes et leurs cris de ralliement : Sauvez deux vies. Le documentaire, bien qu’il ne se cache pas de son point de vue, ne camoufle pas l’existence d’une grande masse sociale contre l’avortement, et on a réellement l’impression de prendre le pouls réel de la situation sur l’avortement en Argentine. En entrevue, un pasteur affirme même que les institutions religieuses sont constituées pour n’offrir aucune éducation sexuelle, aucune information sur la contraception, et finalement aucun recours pour l’avortement, comme si étrangement, la religion désire se dégager complètement du dossier.
Mais au-delà de l’opinion directe du gouvernement (et donc, de la société qu’il doit représenter) par-rapport à l’avortement, c’est une problématique sociale encore plus grande dont il est question dans Femmes d’Argentine. On y mentionne effectivement une sorte d’hypocrisie généralisée, alors que si on débat avec fougue sur la vie d’un embryon qu’on ne veut pas avorter, la société n’est quand même pas adaptée pour le soutenir durant sa vie.
Femmes d’Argentine dresse donc un portrait social, politique, très revendicateur. Évidemment, le point de vue de l’équipe du documentaire n’est pas camouflé, et on accordera davantage d’importance à ces femmes luttant pour une meilleure reconnaissance de leurs droits. Le documentaire se conclut avec ses intervenants déclamant, avec beaucoup d’espoir, leur volonté de voir la loi permettant l’avortement prendre forme. Fort heureusement, en fin 2020, leurs demandes auront été entendues, alors que le droit à l’avortement est maintenant en vigueur en Argentine.
En prenant soin de s'attarder aux deux revers de la médaille, Femmes d'Argentine dresse un portrait difficile d'une société en mouvance, pleine d'espoir, qui lutte pour des horreurs qui arrivent encore bien trop souvent. Le documentaire est nécessaire pour réaliser les progrès sociaux qu'on a encore à faire.