«On sortirait ensemble. On passerait à cent mille à l’heure. Puis on aurait un accident… un gros. On perdrait beaucoup de sang. Ton sang se mélangerait avec le mien… dans l’asphalte. Puis il pousserait une fleur… dans l’asphalte… pas arrachable, pas cassable, pas écrapoutissable… T’aimerais pas ça, toi?»
Ces quelques lignes, mélangeant avec finesse poésie, amour et cruauté, sont de la plume de Réjean Ducharme, le célèbre et mystérieux écrivain québécois auteur de L’avalée des avalés, entres autres. Mais cet artiste, davantage connu dans le domaine de la littérature, a également scénarisé quelques films dont celui qui est reconnu pour être le meilleur film québécois de l’histoire. Ce qui n’est pas rien. Ce film, cette œuvre, c’est Les bons débarras.
Le film de Francis Mankiewicz raconte l’histoire d’une triste famille québécoise qui, heureusement d’ailleurs, est plutôt atypique. La mère, Michelle (interprétée par Marie Tifo), ne sait plus où donner de la tête devant l’alcoolisme de son frère Guy (Germain Houde) et les crises de sa jeune fille Manon (l’excellente Charlotte Laurier). Ce trio, habitant dans une maison en campagne, survit (ou du moins, tente de survivre) grâce au bois qu’ils buchent, cordent et vendent au plus offrant.
Même si la vie semble bien simple pour la petite famille, le climat n’est pas des plus agréables entre les quatre murs. Surtout pas pour la jeune Manon, qui doit vivre entre les lendemains de veille de son oncle et les trop nombreuses aventures de sa mère, qui ne se cache pas d’elle pour exprimer son manque d’amour avec tous les hommes osant l’entourer. Une habitude de vie qui a fait de Manon une fillette ayant vieilli trop vite, ayant compris la vie trop tôt, et qui doit en vivre avec les conséquences.
Les bons débarras tourne donc autour de la vie de la jeune Manon, qui cherche l’attention de sa mère (et de pas mal tout ce qui bouge) du mieux qu’elle le peut. C’est d’ailleurs ce personnage qui, en parallèle avec sa lecture des Hauts de Hurlevent, fuira la vie familiale vers une énorme bulle qu’elle tentera de se créer, au dépens de son entourage. Du grand Ducharme à son meilleur, finalement.
Si l’histoire de Les bons débarras est somme toute bien simple, ce sont les dialogues du film qui font de celui-ci un véritable chef d’œuvre. La grande maturité de Manon, déployée tout autant dans ses répliques que dans ses actions, choquera à plusieurs moments, notamment dans la scène où, avec son mignon petit sourire d’enfant, elle s’offrira à l’amant de sa mère, comme si c’était tout à fait normal. Une enfance atypique donne un enfant atypique, et il ne faudra pas s’étonner de voir une jeune fille de douze ans insulter sa mère après avoir fumé un joint. Dur à prendre, mais très intéressant à l’écran.
Le scénario de Les bons débarras est presque parfait, mais certains éléments sont malheureusement inférieurs. Même si le film est considéré avec raison comme l’une des pierres angulaires du cinéma québécois, il date tout de même de 1979. L’œuvre est donc plus difficile à trouver, et aussi bien l’image que le son ont mal vieilli. Il est donc essentiel de s’attaquer à ce gros morceau en ayant bien en tête que le film a plus de trente ans, et que depuis, la situation du cinéma a bien évolué. Il sera pourtant impossible de ne pas être ébloui par le jeu de Charlotte Laurier et de Marie Tifo, la réalisation très personnelle de Mankiewicz et l’écriture à la fois poétique et ultra-réaliste de Ducharme. Un bonbon pour les yeux et pour les oreilles.
Que dire de plus sur un grand film qui a déjà passé à l’histoire, sinon ce qui a été répété par des milliers de critiques de par le monde? Les bons débarras, malgré son caractère cru et la dureté des thèmes qui y sont abordés, reste étrangement l’une des plus belles odes à l’amour qu’il m’ait été donné de voir. L’amour peu conventionnel, certes, mais le plus pur qui soit.
Précisons que la citation transcrite au tout début de ce texte est celle d’une fille d’environ dix ans qui s’adresse à sa mère. Elle l’aime, ou pas?
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