L’Alzeihmer n’est pas un sujet facile. Dans la vraie vie comme sur l’écran. Pourtant, nombreuses sont les oeuvres qui désirent s’y attarder et en faire un portrait. C’est une tâche ardue et, è mes yeux, rarement relevée avec brio. J’avais particulièrement hâte de m’attarder au nouveau film de Bruno Chiche, Je n’ai rien oublié, mettant en vedette mon adoré Gérard Depardieu. Mon petit doigt me disait qu’il s’agissait là d’une réussite. Et mon petit doigt se trompe très rarement.
Simone est belle. Philippe est beau et il le sait. Les deux jeunes tourtereaux se marient dans la grandiose et immense demeure parentale de ce dernier, dans la perspective d’y emménager. Les journées, pour la jeune épouse, sont aussi longues et ennuyeuses que les rideaux qui habitent les murs. Les heures tombent lentement comme la neige sur le sol, juste avant de mourir au contact de ce dernier. Un soir, elle aperçoit un vieillard par sa fenêtre. Il pleut à boire debout mais il reste assis, sagement, sur un tout petit banc. On lui apprend qu’il s’agit de Conrad, l’homme qui vit tapie dans une petite cabane de bois, en plein fond de l’immense terrain de ses beaux-parents. Petites rencontres hasardeuses obligent, Simone se lie bien vite d’amitié pour ce vieillard sympathique. Contrairement aux membres de sa belle-famille qui éprouvent à son égard un certain dédain qui lui échappe, la jeune femme trouve en Conrad un être sensible, délicat et respectueux. Leurs rencontrent se multiplient, s’enchainent et forment rapidement le quotidien de ces deux êtres qui n’avaient en rien, prime à bord, un quelconque point commun.
Bien vite, pourtant, une fatalité se présente aux yeux de Simone: même s’il n’est pas au courant, il est évident que le vieil homme est malade. Ses déplacements sont souvent interrompus par des trous de mémoire, les noms des choses et des gens lui échappent. Et, au fur et à mesure que ses plus récents souvenirs l’abandonnent, ce sont les plus anciens, dont on oublie jusqu’à même l’existence, qui prennent place dans l’esprit de Conrad. Tous les êtres qui entourent la maison au fond du jardin deviennent alors les victimes d’une mémoire infaillible, où se camoufle des secrets jusqu’alors inavoués.
Le danger, il me semble, lorsqu’on traite de l’Alzeihmer, est de tomber dans le cliché. On sort les scènes à faire tirer des larmes, on évoque la maladie en montrant un être désespéré, la mémoire devient visuellement présente par un quelconque objet relié au passé du protagoniste… Toujours un peu la même routine, mais jamais un traitement juste et réaliste. Un traitement qui ne cherche pas à s’attirer des applaudissements grâce aux larmes qu’il provoque. C’est justement ce que je trouve d’absolument magnifique dans Je n’ai rien oublié. Conrad, interprété par Depardieu, ne s’apitoie en aucun temps sur son sort. Bien évidemment que les gens autour de lui souffrent de sa situation. Mais leurs réactions sont divines, tellement réalistes et absolument respectueuses à l’égard de l’affreuse maladie. Jamais on ne tente de créer chez le spectateur un quelconque mal-être ou des larmes incontrôlables. On se concentre, en même temps que Simone, à connaitre cet homme unique que la vie n’aura jamais laissé indifférent. C’est d’autant plus grandiose d’aborder le sujet par la voie difficile, la voie représentative que celle tragique où une femme oublie son mari alors qu’il lui racontait toujours l’histoire de leur vie (oui, oui, je me moque bien de The Notebook).
Les performances, et je parle ici du duo formé par Depardieu et Alexandra Maria Lara, sont magnifiques. Évidemment, on ne s’attendait à rien de moins de l’acteur français, sans quoi ce serait le monde à l’envers. Par contre, sa compagne, beaucoup plus jeune et définitivement moins connue, se fait son égale et compose avec lui une histoire absolument touchante. Leur relation n’est pas conforme, mais l’amitié qui les lie est la plus belle qui soit.
Les personnages prennent place dans un monde visuellement très beau. Les plans sont sophistiqués, à l’image de la famille Senn. Autour de Conrad reviennent à la vie différentes étapes de la sienne, sous la neige et sous la pluie, dans un monde qui lui glisse entre les doigts comme un sable très fin. La musique y est belle et simple. Le scénario un peu gêné mais absolument réaliste et évocateur. C’est un petit bijou.
S’il est un film que j’aurai apprécié cette année, je crois bien que ce sera Je n’ai rien oublié. C’est délicat, gracieux et touchant. C’est le quotidien chamboulé d’une famille au lourd passé soudainement revisité. Chiche signe ici un long métrage qui sait lui aussi me ravir devant l’ingéniosité débordante de nos voisins français.
Crédit Photo : Les Films Seville
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