Pour bien réussir à cerner un réalisateur, il est parfois nécessaire de se pencher sur ses toutes premières œuvres. Bien souvent, c’est à ce moment qu’il est possible de faire d’excellentes découvertes qui nous étaient jusqu’à présent inconnues. Ce fut d’ailleurs le cas lorsque, afin de découvrir davantage Lars Von Trier (qui a réalisé Dogville et Antichrist, entres autres), je me suis donné la peine d’écouter Element of Crime, l’un de ses premiers longs métrages. Une excellente surprise. Troublante, parfois, mais excellente.
Afin de faire ses preuves dans le monde du cinéma, il est bien souvent nécessaire pour les réalisateur de prouver leurs forces. Von Trier, comme on le connaît aujourd’hui, est le maitre de l’ambiance onirique, troublante et irréelle. Element of Crime ne fait pas exception à la règle. C’est en effet dans une atmosphère tout à fait floue et inconstante que nous aspire le réalisateur dans ce qui se veut être un heureux mélange entre un film policier et une œuvre expérimentale.
L’intrigue principale se déroule dans le passé de Fisher, un ex-policier désabusé qui se retrouve en pleine séance d’hypnose. En effet, Element of Crime se trouve à être l’ensemble des souvenirs qui reviennent lentement à la mémoire de Fisher. D’où cette ambiance vague et incertaine.
Fisher est donc ce policier qui doit enquêter sur une série de meurtres sordides. Ces crimes, tous semblables, semblent avoir été commis par le même homme. Cependant, dans son enquête, Fisher découvre qu’une série de meurtres avaient été commis dans la même région, quelques années plus tôt. Le tueur, que tout le monde croyait mort, serait-il revenu pour reproduire le passé? Ou bien un imitateur tenterait-il d’enfiler le costume de son idole? Toutes des questions qui restent insolubles pour Fisher.
Jusqu’ici, l’intrigue semble bien banale. Une histoire de meurtre, style film noir. Aucune surprise. Mais Lars Von Trier (ou plutôt Niels Vorsel, l’auteur original) nous réserve d’autres surprises. Il existe en effet une méthode presque infaillible qui permet à un enquêteur de bien comprendre les tueurs : il s’agit tout simplement de reproduire dans les moindres détails tous les mouvements, toutes les rencontres du criminel. De cette manière, un bon policier est capable d’anticiper les prochains actes de celui-ci.
C’est de cette méthode que se servira Fisher dans Element of Crime. En enfilant les souliers du tueur, il tentera de reconstituer son parcours, ses obsessions, ses manies… Mais cette reconstitution aura des effets néfastes sur Fisher, qui ira jusqu’à l’automutilation pour bien comprendre les états d’âme de son prédécesseur (dans des scènes plutôt dérangeantes)… Je n’en dis pas plus.
Element of Crime se veut donc un film psychologique qui se situe précisément dans l’imaginaire de Fisher. En effet, les souvenirs de celui-ci, quelques peu embués par la folie, sont flous et vagues, si bien que certains personnages quittent parfois les scènes sans raison, tandis que d’autres apparaissent… ce qui contribue grandement à la confusion du spectateur, déjà mélangé par l’intrigue principale. Un style que l’on voit rarement, mais qui porte fruit.
Un film du genre d’Element of Crime, avec tout ce qu’il possède d’onirique et d’inexplicable, nécessitait une direction artistique béton. Et c’est réussi. L’œuvre baigne effectivement dans une ambiance rougeâtre du début à la fin. Aucun lieu n’est clairement défini, même qu’ils semblent presque identiques. Le spectateur aura vraiment l’impression d’être ancré dans le cerveau de Fisher. Il vivra l’aventure du protagoniste en même temps que celui-ci, avec la même folie.
Les films de Lars Von Trier sont souvent bien dérangeants, et Element of Crime ne fait pas exception à la règle. En effet, mis à part l’ambiance, le film a en son sein quelques scènes qui font grincer des dents. Disons que la censure, qu’elle soit cruelle ou sexuelle, n’est pas présente dans l’œuvre. Ni dans celle-ci, ni dans les deux suites à ce film (car oui, Element of Crime fait partie d’une trilogie).
L’inventivité de Lars Von Trier, qui n’avait que 23 ans lors de la réalisation de ce film, est ici à son meilleur. Les éléments symboliques sont disposés avec un grand génie, et si l’ensemble est parfois un peu trop abstrait, on ne peut que s’extasier devant la grande beauté (visuelle et technique) des plans de caméra utilisés. Bien sur, certains effets spéciaux ont très mal vieilli, et les effets sonores sont de très mauvaise qualité. Mais on le pardonne à un jeune réalisateur qui, au début de sa carrière, ne devait pas disposer du même budget qu’aujourd’hui.
Element of crime est donc un bon film policier qui innove dans sa direction artistique et dans sa réalisation expérimentale. Les fans de film noir apprécieront, mais si vous cherchez une histoire très concrète et précise, détournez-vous de ce film. Par contre, si vous êtes à l’affut de découvertes, sautez sur l’occasion. L’œuvre de Von Trier vous laissera peut-être avec un gout amer, mais vous pourrez affirmer que vous connaissez désormais davantage ce grand réalisateur.
Car c’est parfois dans leurs débuts que les créateurs se font plaisir. Et Von Trier qui se fait plaisir, ça ne laisse pas indifférent.
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