Écrire l’adaptation cinématographique d’un roman est une lourde tâche que l’on confie régulièrement aux scénaristes. Même si l’histoire est relativement déjà écrite, il faut faire part de professionnalisme afin de transmettre les bonnes informations aux spectateurs tout en respectant l’œuvre originale. Les nombreuses difficultés de cette tâche font d’ailleurs l’objet de l’excellent Adaptation, l’une des œuvres les plus marquantes de Spike Jonze.
Le réalisateur, que l’on connait aussi pour le très intellectuel Jackass, livre ici une œuvre aboutie et très louable. Pourtant, c’est ici le scénariste, Charlie Kaufman, que l’on couvrira d’éloges. Tout d’abord parce qu’il a osé être le personnage principal de son propre film.
En effet, Adaptation raconte l’histoire de Charlie Kaufman, un scénariste qui se fait donner comme tâche d’adapter un roman qui n’est pas une fiction. Une sorte d’éloge sur les fleurs. Face à ce roman pratiquement inadaptable, Kaufman se voit confronté à lui-même, à ses angoisses, et remettra sa carrière de scénariste en question.
C’est donc une mise en abime que l’on retrouve dans Adaptation. Le scénariste Charlie Kaufman, en se projetant lui-même dans son film, retrouve la folie qu’il avait lors de l’écriture de Being John Malkovich (celui-ci fait d’ailleurs une courte apparition au début du film). Bien sur, quelques éléments d’Adaptation sont purement fictifs, mais l’angoisse de la page blanche et la recherche d’inspiration que vit Charlie Kaufman (interprété avec brio par Nicolas Cage dans le film) sont très bien représentées. Et je sais de quoi je parle (les devoirs universitaires s’avèrent parfois plus complexes qu’on le pense, surtout lorsqu’on s’y met la veille).
Adaptation est un excellent film, mais pour bien le comprendre, il est nécessaire d’être bien accroché et de ne pas se laisser divertir. Dès le début du film, plusieurs coupures dans le temps sont présentes, et au bout de trois minutes, le spectateur suit déjà l’histoire de trois personnages différents, à trois époques différentes. En effet, en plus de l’histoire du scénariste, certaines scènes du film sont consacrées à l’auteure initiale du livre adapté, et d’autres scènes montrent même l’histoire du livre. Ces trois réalités s’entremêleront jusqu’à ce que le spectateur ne sache plus ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas, et c’est ce qui fait la beauté du film.
Tout comme dans Being John Malkovich, de nombreux procédés hors norme sont utilisés. Notons principalement le rôle de Nicolas Cage, qui interprète le scénariste et son frère jumeau. Déjà que j’ai de la difficulté avec cet acteur, le voir en deux personnages différents ne m’enchantait guère. Pourtant, dans Adaptation, Cage s’en sort à merveille. Il faut dire que le support d’excellentes actrices telles que Tilda Swinton et Meryl Streep aident beaucoup à sa performance.
Le côté plutôt angoissant et décousu d’Adaptation est très intéressant. En effet, la panique que ressent Cage par-rapport à son scénario est très bien représentée avec les voix-off persistantes, l’apparition presque spirituelle de son frère jumeau et sa personnalité plus grande que nature. Certains clins d’œil au cinéma sont même à prévoir, notamment la scène où un conférencier de renom explique quoi ne jamais faire dans un scénario… Ce que Kaufman s’apprête à reproduire dans Adaptation.
Malheureusement, la réalisation particulière de Jonze ainsi que le scénario s’essoufflent beaucoup vers la fin du film, lorsque le personnage de Charlie Kaufman cesse momentanément d’écrire son scénario pour s’affairer à d’autres projets dont je tairai la nature. Après une entrée en matière d’une heure très intellectuelle et postmoderne, cette conclusion abrupte et plus conventionnelle est plutôt étrange. Mais cette scissure très particulière est probablement voulue, puisqu’à un certain point du film, l’un des personnages parle de ces «réalisateurs qui se plaisent à mélanger les genres». Bref, qu’elle soit désirée ou pas, la troisième partie du film est nettement inférieure aux deux autres.
Mais qui suis-je pour me plaindre. Charlie Kaufman (le vrai, cette fois) réussit à adapter une œuvre d’une manière très réfléchie et particulière. Car, tout comme pour le protagoniste, Adaptation est une commande qui lui a été faite. Celle d’adapter l’œuvre d’une certaine Susan Orlean, auteure d’un roman à-propos des fleurs. Vous avez bien compris, Adaptation est l’adaptation d’une œuvre sur les fleurs qui traite de l’adaptation d’une œuvre sur les fleurs.
À cet effet, l’auteure originale s’est dite ravie du film Adaptation. Avec ce film fort peu conventionnel, le duo Jonze-Kaufman réalisent encore une œuvre qui passera probablement à l’histoire.
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