L’investigateur du projet Clouds of Sils Maria n’est pas Olivier Assayas, le réalisateur et scénariste du film, mais bien sa vedette principale, Juliette Binoche. Les deux avaient déjà fait équipe pour Rendez-vous en 1985, film ayant propulsé la carrière de l’actrice oscarisée pour The english patient en 1997. Près de 30 ans plus tard, Binoche approche le réalisateur avec le désir avoué de retravailler avec lui sur un long-métrage cette fois-ci résolument axé sur des enjeux féminins. De ce souhait naitra donc une œuvre singulière proposant des réflexions audacieuses mais aux dénouements sinueux sur le métier d’acteur (trice).
Clouds of Sils Maria relate l’histoire de la superstar Maria Enders (Juliette Binoche) dont la carrière a pris un fulgurant envol lorsqu’elle avait 18 ans avec la pièce Le serpent de Maloja dans laquelle elle incarnait l’énigmatique Sigrid, une stagiaire qui poussa au suicide Helena, sa patronne d’âge mûr avec qui elle entretenait une liaison amoureuse. Cette pièce également adaptée au cinéma fut écrite par Wilhelm Melchior, un véritable mentor pour Enders depuis des décennies. Lorsque ce dernier décède, Maria, armée de son assistante Valentine (Kristen Stewart), se rend à Sils Maria où Melchior élaborait toutes ses œuvres. Là-bas, l’actrice, après de longues réflexions et hésitations, analyse de nouveau le texte Le serpent de Maloja en vue de la reprise de la pièce par un metteur en scène en vogue. Par contre, petit changement au programme : elle interprétera le rôle d’Helena et donnera ainsi la réplique à une nouvelle Sigrid campée par la vedette de l’heure, la jeune starlette controversée Jo-Ann Ellis (Chloe Grace Moretz).
Sélection officielle au Festival de Cannes de 2014 et gagnant du Prix Louis-Delluc remis au meilleur film français sorti au cours de l’année, la nouvelle offrande d’Olivier Assayas affiche un visuel fascinant. Avec ses teintes sombres et léchées, la direction de la photographie est impeccable, notamment dans la scène où le phénomène météorologique nommé le Serpent de Maloja (eh bien, tiens!) se produit. La réalisation se marie très bien avec la ligne directrice du scénario mais n’esquive cependant pas un manque de rythme, particulièrement lors de la première heure. Le lent montage crée un démarrage difficile de l’intrigue.
Puisque Sils Maria aborde la célébrité, le culte voué à la jeunesse et à la beauté, l’acharnement des médias à inventer des scandales, le processus que doit s’imposer un acteur pour maitriser toutes les facettes d’un rôle et les relations interpersonnelles tumultueuses sur un fond de mise en abîme, les comparaisons avec les marquants All about Eve et Birdman, tous deux lauréats des grands honneurs aux Oscars, sont inévitables. Hélas, Clouds of Sils Maria, malgré de nobles qualités, ne peut prétendre appartenir à la même catégorie, et ceci est en grande partie attribuable au flou artistique inutile présent dans la dernière portion.
Pourtant, le scénario regorge d’idées fort intéressantes comme le choix de diviser le film en deux actes et un épilogue afin de mieux illustrer l’importance accordée à la pièce Le serpent de Maloja par tous les personnages du film (pour des motifs diamétralement différents, bien entendu). L’équilibre constamment précaire entre la réalité et la fiction ainsi que les parallèles que l’on peut dresser entre les personnages et leurs interprètes (et la relation professionnelle de Maria et Wilhelm avec celle de Binoche et Assayas) sont également des éléments qui fonctionnent à merveille. Dans ce drame psychologique hautement cérébral et percutant, les multiples interprétations face aux dénouements des intrigues se succèdent, ce qui est à la fois sublime et désastreux. Sublime parce que songé et vrai mais désastreux car trop confondant. Confrontés à des pensées contradictoires qui définissent toute la complexité frustrante et la mystérieuse beauté de l’être humain, les protagonistes présentent suffisamment de solidité pour éviter l’unidimensionnalité.
La plus grande force de Clouds of Sils Maria réside dans la dynamique complètement ahurissante (et sincèrement inattendue aux dire d’Assayas!)entre Juliette Binoche et Kristen Stewart. Leur chimie est sans aucun doute la plus explosive et jouissive de l’année! On participe avec bonheur à leurs éclats de rire. On compatit à leurs craintes. On assiste, obnubilé et rempli d’espoir, aux échos de leurs désirs mutuels inavoués qui sont reflétés dans la pièce. Juliette Binoche, fidèle à ses habitudes, incarne avec justesse et aplomb un personnage désabusé qui refoule difficilement ses peurs viscérales de vieillir et l’accepter avec sérénité. Dans la peau de Valentine, rôle pour lequel elle a obtenu une victoire historique aux Césars (première actrice américaine à remporter un prix d’interprétation), Kristen Stewart déstabilise positivement. En construisant un personnage articulé, authentique et attachant, elle trouve enfin sa niche et rompt officiellement et efficacement avec sa Bella de Twilight. La scène où Valentine défend les blockbusters tout en dénotant leurs lacunes est un véritable vent de fraicheur. Chloe Grace Moretz, quant à elle, ne parvient pas à se démarquer avec sa composition fade et plaquée de Jo Ann Ellis, personnage effacée et volontairement convenu qui aurait toutefois mérité plus de vigueur et de nuances.
Bref, de Sils Maria on retiendra des pistes de réflexion provocatrices sur le milieu du septième art qui n’arrivent pourtant pas à échapper à un désolant éparpillement. Néanmoins, Kristen Stewart et Juliette Binoche sauvent la mise avec une fusion aussi hypnotique que les nuages flottant au-dessus de Sils Maria.
Ce film est à l’affiche depuis le 10 avril 2015.
Crédits Photos : Mongrel Media
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